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CICÉRON

Quelle impudence à la tienne est semblable ?

dit l’un d’eux.

Quel crime au tien fut jamais comparable ?

reprend l’autre. Vous savez les vers suivants, où ils vomissent tour a tour les injures les plus atroces : dignes enfants de cet Atrée, qui, pour se venger de son frère, médite un châtiment dont il n’y eut point d’exemple.

Aujourd’hui par un trait inouï, plein d’horreur,
Je cherche à lui porter la rage dans le cœur.

Quel fut ce trait inouï ? Vous l’allez apprendre de Thyeste.

As-tu pu m’inviter, frère impie, inhumain,
À manger mes enfants égorgés de ta main ?

Jusqu’où, en effet, la colère ne va-t-elle pas ? Elle devient fureur. Aussi dit-on d’un homme en colère, qu’il ne se possède plus : ce qui signifie qu’il n’écoute plus la raison ; car la raison nous rend maîtres de nous, et c’est par elle qu’on se possède. On est obligé d’ôter de devant les yeux d’un homme irrité les personnes à qui il en veut ; et on attend qu’il se soit remis. Or qu’est-ce que se remettre, si ce n’est faire que les parties’de l’âme, qui venaient d’être dérangées, se retrouvent dans leur état naturel ? On prie, on conjure cet homme irrité de suspendre un peu sa vengeance, et de n’agir point dans les premiers bouillons de sa colère. Or ces bouillons, qu’est-ce autre chose qu’un feu violent qui s’est allumé dans le cœur, au mépris de la raison ? Vous savez, à ce sujet, le bon mot d’Archytas, qui, étant irrité contre son fermier, comme je te traiterais, lui dit-il, si je n’étais pas en colère !

XXXVII. Où sont-ils maintenant ces philosophes qui nous donnent la colère pour un présent de la nature, et présent utile ? Peut-il être utile à l’homme d’être hors de son bon sens ? Un mouvement, que la raison désavoue, peut-il venir de la nature ? Mais d’ailleurs, si la colère est naturelle, pourquoi un homme y est-il plus enclin qu’un autre ? Pourquoi ce désir de se venger cesse-t-il avant que de s’être satisfait ? Pourquoi se repent-on d’avoir agi par colère ? Témoin Alexandre, qui eut tant de regret d’avoir tué son ami Clitus, que peu s’en fallut qu’il ne se tuât, lui-même. Hésiterons-nous, cela étant, à mettre cette, passion au rang de toutes les autres, et par conséquent à la regarder comme un mouvement déréglé, qui vient absolument de nous et de nos fausses opinions : ni plus ni moins que l’ambition et l’avarice, dont l’unique source est dans le préjugé qui nous en fait estimer mal à propos les objets ? Un homme vraiment éclairé, et qui jamais ne juge légèrement, se conserve une fermeté, une assurance, que rien n’ébranle. Mais, où cette assurance n’est pas, il s’y trouve au contraire une incertitude affreuse, qui perpétuellement nous promène de l’espérance à la crainte et de la crainte à l’espérance. Penser juste, c’est ce qui fait l’égalité de l’âme. Penser faux, c’est ce qui la trouble. Quand on dit qu’il y a des gens portés naturellement, ou à la colère, ou à la pitié, ou à l’envie, ou a quelque autre passion, cela signifie que la constitution de leur âme, si j’ose ainsi parler, n’est pas bien saine : mais l’exemple de Socrate nous prouve qu’elle n’est pas incurable. Zopyre, qui se donnait pour un habile