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Est-ce que s’il lui avait été donné de vivre cent I ans, sa vieillesse lui serait à charge ? Sans doute il ne pourrait plus courir, ni sauter, ni lancer le javelot, ni manier le glaive ; mais il penserait, il prévoirait, il conseillerait ; et si ce n’était là le propre de la vieillesse, nos ancêtres n’auraient pas donné au conseil suprême de l’État le nom de sénat. A Lacédémone, ceux qui occupent la première magistrature sont nommés les Anciens, et ils le sont en effet. Si vous voulez vous informer de ce qui s’est passé chez les autres peuples, vous verrez que les États ont toujours été ruinés par les jeunes gens, sauvés ou restaurés par les vieillards. « Dites-moi : comment votre république si florissante a-t-elle péri si vite ? » Voilà ce que l’on demande, comme dans la fable du poète Névius. Entre autres réponses, on fait d’abord celle-ci : « Il se produisait des orateurs nouveaux, jeunes et insensés. » La témérité est en effet le caractère de la jeunesse, la prudence celui de la vieillesse.

VII. Mais la mémoire s’affaiblit. Je le crois, si vous ne l’exercez pas, ou si vous avez un esprit ingrat. Thémistocle savait les noms de tous ses concitoyens : croyez-vous que, dans sa vieillesse, Il ait été donner à Aristide le nom de Lysimaque ? Je connais non-seulement tous les Romains, mais encore leurs pères et leurs aïeux ; et je ne crains pas de perdre la mémoire, comme on dit, en lisant les inscriptions tumulaires ; tout au contraire, elles me remettent les morts en mémoire. Je n’ai jamais entendu dire qu’un vieillard ait oublié où il avait enfoui son trésor. Ils se souviennent parfaitement de tout ce qui les touche, du jour fixé pour les payements, du nom de leurs débiteurs et de leurs créanciers. Que de choses renferme la mémoire des jurisconsultes, des pontifes, des augures, des philosophes parvenus à la vieillesse ! Le vieillard conserve tout son esprit, pourvu qu’il ne renoncent à l’exercer ni à l’enrichir ; et je ne parle pas seulement d’une vieillesse des grands citoyens et des hommes d’État, mais de celle qui s’écoule dans la tranquillité de la vie privée. Sophocle, dans son extrême vieillesse, composait encore des tragédies ; on l’accusait de négliger son patrimoine pour cultiver ta poésie, et ses fils l’appelèrent en justice pour le faire interdire comme fou, au nom d’une loi semblable à celle de Rome, qui ôte la gestion de leurs biens aux pères qui les dissipent. On dit que le vieillard lut aux juges son Œdipe à Colon e, qu’il tenait à la main et qu’il avait tout récemment composé, et leur demanda ensuite si c’était là l’œuvre d’un fou. Il fut renvoyé absous après cette lecture. Est-ce que la vieillesse paralysa le génie de ce grand poète ou celui d’Homère, d’Hésiode, de Simonide, de Stésichore ? Est-ce qu’elle flétrit le talent d’Isocrate et de Gorgias que je vous citais, ou de ces princes de la philosophie, Pythagore, Démocrite, Platon, Xénocrate, Zénon, Cléanthe, ou àe Diogène le stoïcien, que vous-mêmes avez vir à Rome ? Est-ce que le mouvement de leur esprit s’arrêta avant le terme de leur vie ? Mais quoi ! sans plus vous parler de ces études divines, je puis vous citer un grand nombre de cultivateurs romains de la Sabine, mes voisins et mes amis, qui ne souffriraient pas qu’aucun des grands travaux des