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( car Ennius vécut jusque-là), il supportait de telle sorte les deux fardeaux réputés les plus lourds, à savoir, la pauvreté et la vieillesse, qu’il semblait presque y trouver des jouissances. Quand j’y réfléchis, je trouve quatre motifs de l’opinion répandue sur l’importunité de la vieillesse : le premier est qu’elle nous interdit l’action ; le second, qu’elle enlève nos forces ; le troisième, qu’elle nous sèvre de presque tous les plaisirs ; le quatrième enfin, qu’elle est le prélude de la mort. Examinons, si vous le voulez, ta valeur et la justesse de chacun de ces motifs.

VI. La vieillesse nous interdit l’action. Quelle sorte d’action ? est-ce celle qui convient à la jeunesse et à la vigueur de l’âge ? Mais n’est-il pas des affaires réservées à la vieillesse, et que la prudence de l’esprit peut seule traiter même lorsque les forces défaillent ? Q. Maximus n’agissait donc pas, non plus que Paul-Émile votre père, Scipion, et beau-père en même temps de mon excellent fils ? Et tous ces vieillards, les Fabricius, les Curius, les Coruncanius, lorsque leur prudence et leur autorité défendaient la république, n’agissaient-ils pas ? Appius Claudius était vieux et aveugle, lorsqu’au milieu du sénat, qui inclinait vers la paix et penchait à traiter avec Pyrrhus, il eut le courage de prononcer ces belles paroles reproduites par Ennius dans ces vers : « Jusqu’où vos esprits, si droits jusqu’ici, « ont-ils fléchi dans leur démence ? » Et la suite de la même force ; vous savez les vers, et le discours lui-même nous est conservé. Appius le prononça dix-sept ans après son second consulat ; dix ans s’étaient écoulés entre son premier consulat et le second, et il avait été censeur avant d’être consul. Nous en pouvons conclure qu’il était fort âgé lors de la guerre de Pyrrhus ; et c’est en effet ce que nous ont appris nos pères. Soutenir que la vieillesse n’agit point, est donc une vaine opinion ; autant vaudrait dire que le pilote n’agit pas en conduisant le vaisseau : en effet, tandis que les autres se hissent au mât, s’agitent sur les ponts, vident la sentine, lui, le gouvernail en main, se tient immobile à la poupe. La vieillesse ne fera pas ce que fait la jeunesse : non, mais elle fera des choses bien plus utiles et plus grandes. Ce n’est point par la force, la prestesse ou l’agilité du corps, que les grandes choses s’accomplissent, mais par le conseil, l’autorité, la sage maturité dont la vieillesse, loin d’être dépouillée, est au contraire plus abondamment pourvue. A moins toutefois que moi, qui, tour à tour soldat, tribun, lieutenant et consul, ai vu la guerre sous toutes ses formes, je ne vous paraisse inactif parce que je ne manie plus les armes. Mais j’apprends au sénat ce que doit faire la république, et de quelle manière ; je déclare la guerre depuis longtemps déjà à cette Carthage qui nourrit contre nous de dangereux projets, et je ne cesserai de la craindre que lorsque je la verrai détruite. Puissent, Scipion, les Dieux immortels vous réserver la gloire d’achever l’ouvrage commencé par votre aïeul ! Voilà trente-trois ans qu’il est mort, mais son souvenir vivra dans tous les âges. Il mourut un an avant ma censure et neuf ans après mon consulat, sous lequel il fut nommé consul pour la seconde fois.