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CICÉRON.

sa rusticité n’était pas sans politesse. Mais il est pour lui des jouissances qui l’emportent sur toutes celles dont la jeunesse fait tant de cas, et qui ont le beau privilége d’appartenir à tous les âges ; ce sont les plaisirs de l’esprit, qui semblent avoir plus de saveur à mesure qu’on les goûte davantage. N’oublions pas ceux qui se présentent en foule dans la vie des champs et ce charme qu’on goûte loin des affaires et du bruit, observant les merveilles de la nature, occupé, vigilant, la paix dans le cœur et s’appartenant à soi-même.

Enfin la vieillesse ne doit pas s’effrayer de la mort qu’elle contemple de plus près, et qui lui paraît, lorsqu’elle sait bien la juger, le terme d’un long et pénible voyage, le port longtemps souhaité. On n’est pas plus assuré de la vie à la fleur de l’âge qu’au déclin des ans : seulement la mort du vieillard a quelque chose de plus naturel et de plus doux ; la vie avancée est comme un fruit mûr qui se détache sans efforts. Tout n’arrive-t-il pas au terme, et n’est-ce pas un bien de finir quand la satiété est venue ? Mais ce qui donne surtout à l’homme la force de contempler la mort sans effroi, c’est l’espérance de l’immortalité. Caton montre à ses jeunes amis que toutes les grandes âmes ont pressenti l’immortalité, et n’ont vu la véritable vie qu’au delà du tombeau ; il rappelle les arguments des philosophes socratiques, et toutes les meilleures preuves qui, dans les temps anciens, s’étaient offertes à la raison pour établir la sublime vérité enseignée par Platon et son divin maître. « Il me tarde, dit le vieux Romain, de partir pour cette assemblée céleste, pour ce divin conseil des âmes… ; d’aller rejoindre tous les grands hommes dont je vous parlais, et au milieu d’eux mon enfant chéri. » Qu’est-ce que la vieillesse, quand l’âme se voit à l’aurore d’un jour éternel ?

Tel est en substance ce traité de la Vieillesse, l’un des ouvrages les plus parfaits de Cicéron, et dont la lecture justifie si bien ce que disait Érasme :

« Je ne sais point ce qu’éprouvent les autres en lisant Cicéron ; mais je sais bien que toutes les fois qu’il m’arrive de le lire (ce que je fais souvent), il me semble que l’esprit qui a pu produire de si beaux ouvrages renfermait quelque chose de divin. »


CATON L’ANCIEN.

I. « Ô Titus, si je viens à ton aide et dissipe les soucis cuisants qui t’agitent, quelle sera ma récompense ? » Je puis, Atticus, vous tenir le même langage qu’adressait à Flamininus « cet homme sans fortune, mais de si grand cœur ; » quoique je sache bien que vous n’êtes pas, comme Flamininus, « assiégé la nuit et le jour de soins dévorants. » Je connais le juste tempérament de votre esprit et l’égalité de votre caractère, et je sais que vous avez emporté d’Athènes non pas seulement un surnom, mais encore les grâces et la sagesse. Il est cependant de tristes choses dont j’imagine que vous gémissez comme moi, Atticus ; fermer de telles plaies n’est pas une entreprise facile, ni dont je veuille me charger aujourd’hui. C’est de la vieillesse que je me propose maintenant de vous entretenir. Je veux nous soulager tous deux de ce fardeau commun de la vieillesse qui nous menace ou qui nous presse déjà ; quoique je sache bien que vous supportez ce fardeau, comme tous les autres, libéralement et sans ennui, et que vous aurez toujours cette sagesse. Mais comme je me proposais d’écrire sur la vieillesse, cherchant qui je trouverais digne de lui consacrer un travail dont nous pussions tirer un fruit commun, c’est vous qui vous êtes présenté à mon esprit. La composition de ce livre a été pour moi chose si agréable, que non-seulement elle a fait évanouir à mes yeux tous les inconvénients de la vieillesse, mais encore me l’a rendue aimable et douce. Jamais on ne pourra faire un assez bel éloge de la philosophie, qui ôte, pour ceux qui l’écoutent, toute amertume à tous les âges de la vie. J’ai déjà parlé beaucoup et souvent encore j’aurai l’occasion de parler des autres âges ; la vieillesse est le sujet de ce livre que je vous envoie. Je n’ai pas mis, comme Ariston de Chios, mon discours dans la bouche de Tithon, car il n’eût rien gagné à cette feinte : mais j’ai fait parler le vieux Caton, qui lui donnera tant d’autorité. Je suppose que Lélius et Scipion témoignent à Caton leur étonnement de ce qu’il supporte si facilement la vieillesse, et que le vieillard leur répond. S’il vous semble mettre dans son discours plus d’art que ses écrits n’en témoignent, attribuez-le à l’étude des lettres grecques, dont nous savons tous qu’il s’éprit dans sa vieillesse. Mais à quoi bon tout ceci ? les paroles de Caton vous montreront tout ce que je pense de la vieillesse.