Page:Cicéron - Œuvres complètes Nisard 1864 tome 4.djvu/531

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

****************************************************************************************************

CATON L’ANCIEN
OU
DE LA VIEILLESSE.

PRÉFACE.

Cicéron écrivait ce dialogue l’an de Rome 709, quelque temps après la mort de César, au milieu des déchirements de la république et de ses propres angoisses. Il l’adressait à son ami Atticus, vieillard comme lui, pour relever son courage, lui apprendre à supporter le fardeau des années, et lui rendre l’approche de la mort moins effrayante. L’auteur avait alors soixante-trois ans, et Atticus soixante-six. Il est à remarquer que c’est pendant cette époque agitée, et alors même qu’il avait à craindre pour ses jours, que Cicéron écrivit le plus grand nombre de ses ouvrages philosophiques, et particulièrement ceux où il montre le plus de liberté d’esprit, de grâce et d’élévation.

Les principaux interlocuteurs de ce dialogue sont Lélius, Scipion Émilien, et Caton l’Ancien. Mais c’est moins un dialogue qu’un discours dans lequel Caton fait connaître à ses jeunes amis les avantages de la vieillesse, sans être interrompu ni contredit. En suivant les indications historiques qui abondent dans l’ouvrage, on voit que Cicéron avait choisi l’année 603, pour y placer l’entrevue des deux amis et de Caton, qui avait alors quatre-vingt-quatre ans, et devait assez bien connaître le fort et le faible du vieil âge. La vérité est qu’en outre des titres de Caton au respect et à la confiance aveugle de la jeunesse romaine, c’était le vieillard le plus vif, le plus actif, le plus jaloux de son autorité et du triomphe de ses idées, dont Rome ait gardé le souvenir. Ajoutez encore que ses dernières années ayant été consacrées en partie à l’étude des lettres grecques, Cicéron pouvait sans invraisemblance lui faire mêler la gravité des mœurs romaines à la sublimité de la philosophie socratique, et relever son sujet par les belles et poétiques inspirations qui n’avaient pas toujours fait fortune auprès de Caton le Censeur.

Les reproches que les anciens adressaient à la vieillesse, et qu’on lui adressera sans doute éternellement, malgré l’éloquent plaidoyer de Cicéron, se ramenaient à quatre chefs principaux : La vieillesse éloigne l’homme des affaires ; elle lui ôte ses forces ; elle le sèvre des plaisirs ; enfin elle est l’avant-coureur de la mort. Caton entreprend de démontrer que tous ces griefs sont mal fondés ; il tire surtout ses preuves de son propre exemple, des mœurs romaines et de la vie des anciens Romains ; enfin de ses études philosophiques. Il commence par Appius Claudius, et finit par Socrate et Platon. Au premier chef d’accusation, il se hâte de répondre que si les vieillards ne se mêlent plus des affaires qui concernent les jeunes gens, ils en ont de plus graves à conduire. Le gouvernement des familles et des États réclame la prudence de la vieillesse ; il faut que tout y soit réglé par les bons conseils : et qu’est-ce qui fait l’homme de bon conseil, si ce n’est la maturité de l’âge ? D’ailleurs, même en dehors des affaires publiques, le vieillard trouve une carrière ouverte devant lui, et qui ne peut jamais lui faire défaut : c’est celle de l’étude et des travaux de l’esprit. Il est toujours permis de prendre pour modèle Solon, qui se félicitait de vieillir en s’instruisant tous les jours.

Au second reproche, Caton répond que la vieillesse diminue, il est vrai, les forces du corps ; mais qu’il ne s’est jamais aperçu qu’elle altérât celles de l’esprit. Les exercices du gymnase ne conviennent pas aux vieillards, ni les lois ni les mœurs ne leur demandent de faire montre de vigueur corporelle. Mais quand la jeunesse n’a point miné nos forces par la débauche et détruit la santé, nous trouvons encore sur le déclin de l’âge assez d’énergie pour donner nos avis et les soutenir, vaquer au gouvernement des nôtres et aux affaires du pays, et surtout éclairer et diriger les jeunes gens, ce qui est le plus bel office du vieillard. Sans doute les derniers temps de la vie sont un déclin ; mais il faut lutter contre la décrépitude, et l’on trouvera toujours en soi assez de vigueur pour ne point succomber à ce prétendu fardeau, qui n’accable que les faibles.

On dit ensuite que la vieillesse nous prive des jouissances. Si l’on veut parler des jouissances physiques, c’est un grand privilége qu’on lui reconnaît là ; et loin de l’accuser, il faut lui rendre grâce de nous affranchir de cette dure tyrannie des passions, qui flétrissent l’âme, aveuglent et l’esprit, jettent l’homme dans des tourments mêlés d’opprobre. Cependant il est encore des jouissances calmes et d’une douceur exquise que peut goûter la vieillesse. Caton ne vivait point en vieillard chagrin dans ses terres de la Sabine ; il avait cette gaieté et savait se donner ces plaisirs que tous les peuples ont connus avant d’en venir aux raffinements de la civilisation, et qu’on appelle en tous lieux les plaisirs du vieux temps. Du reste, il nous apprend lui-même que