Page:Cicéron - Œuvres complètes Nisard 1864 tome 4.djvu/53

Cette page n’a pas encore été corrigée
43
TUSCULANES, LIV. IV.

Hélas ! si quelque Dieu s’intéressait pour moi !

Oui vraiment, les Dieux ont tort de ne pas s’empresser tous à lui procurer la jouissance de l’objet qui l’enchante.

Que je suis malheureux !

ajoute-t-il. Rien de plus vrai.

Malheureux ? et de quoi ?
Quel malheur fut jamais plus léger, plus frivole ?

lui répond sensément un de ses amis, qui ne peut s’empêcher de le regarder comme un fou. Après quoi, l’autre le prend sur le ton le plus tragique :

 Phéhus, à mon secours !
Et vous, Neptune, Éole !

Il croit que tout l’univers va se remuer, pour attendrir sa cruelle maîtresse. Il n’excepte que Vénus, qui ne lui est pas favorable :

 Car pourquoi t’invoquer, Déesse de Paphos ?

Il dit que cette Déesse, trop occupée de ses propres amours, ne s’embarrasse point du reste. Comme s’il n’était pas lui-même tout occupé de sa passion, qui le porte à dire et à faire tant de sottises.

XXXV. Quand donc vous trouvez un fou de cette espèce, il faut pour travailler à sa guérison, lui représenter le ridicule et le néant de ce qui allume si fort ses désirs ; avec quelle facilité il peut ou y suppléer d’ailleurs, ou s’en passer tout à fait. Il faut cherchera lui donner quelque autre goût, lui susciter des affaires, lui procurer du travail. Il faut enfin lui faire changer de séjour, comme on change d’air un malade dont la convalescence tire en longueur. Quelques-uns aussi disent que comme un clou chasse l’autre il faut, pour détruire une inclination, en inspirer une nouvelle. Mais le principal, c’est de bien faire sentir à un homme amoureux dans quel abîme il se précipite. Car, de toutes les passions, celle-ci est la plus orageuse. Quand même nous mettrions à parties débauches, les intrigues, les adultères, les incestes, toute autre turpitude reconnue pour telle ; et sans toucher ici aux excès ou l’amour se porte dans sa fureur ; n’y a-t-il pas, dans ses effets les plus ordinaires, et qu’on regarde comme des riens, une agitation d’esprit, qui est quelque chose de pitoyable et de honteux ?

Rebuts, soupçons, débats, trêve, guerre nouvelle,
Et puis nouvelle paix.
Par ce portrait fidèle,
Voyez que la raison aspirerait en vain
À fixer de l’amour le manège incertain.
Quiconque entreprendrait cette pénible cure,
Voudrait extravaguer avec poids et mesure.

Puisque l’amour dérange si fort l’esprit, comment lui donne-t-on entrée dans son cœur ? Car enfin c’est une passion qui, comme toutes les autres, vient absolument de nous, de nos idées, de notre volonté. Et la preuve que l’amour n’est point une loi de la nature, c’est que, si cela était, tous les hommes aimeraient, ils aimeraient toujours ; l’objet de leur passion ne varierait point ; et l’on ne verrait pas l’un se guérir par la honte, l’autre par la réflexion, un autre par la satiété.

XXXVI. Quant à la colère, pour peu qu’elle soit de quelque durée, il est certain qu’elle ne diffère pas de la folie. Jugeons-en par la querelle de ces deux frères.