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CICÉRON.

être tranquille, inébranlable, supérieur à tous événements. Or c’est ce qui est incompatible avec la tristesse, la crainte, la cupidité, la joie folle : puisqu’un cœur où elles trouvent à se glisser fait bien voir qu’il n’est pas le plus fort.

XXIX. Voilà pourquoi les philosophes, comme je l’ai déjà dit, ont tous a cet égard une seule et même méthode, qui est, non d’examiner la qualité de ce qui trouble l’âme, mais d’attaquer le trouble même. Il s’auit uniquement d’éteindre la cupidité dans mon cœur : ne vous arrêtez donc point a me prouver que ce qui l’allume n’est pas un bien véritable ; mais allez droit à ma cupidité, et ôtez-la-moi. Que le souverain bien consiste dans la vertu, ou dans la volupté, ou dans un mélange de l’un et de l’autre, ou dans l’honnête, l’agréable, et l’utile joints ensemble, peu nous importe ici, puisque la cupidité, eût-elle pour objet la vertu même, ne laisse pas d’être un mouvement déréglé, qui ne mérite pas moins d’être réprimé que s’il avait un autre objet. Pour nous calmer l’âme, il suffit de nous mettre devant les yeux ce que nous sommes, quelle est la loi universelle du genre humain, à quelles conditions la vie nous a été donnée. Aussi Socrate, lorsqu’il entendit l’Oreste d’Euripide, se lit repeter les vers suivants, par ou commence cette tragédie.

À quelques maux que nous soyons en proie,
Quelque revers que le Ciel nous envoie,
C’est notre sort d’en souffrir la rigueur,
Et rien ne doit effrayer un grand cœur.

Un autre moyen encore de persuader aux hommes qu’ils peuvent et doivent souffrir patiemment, c’est de leur faire l’énumération de ceux qui ont passé sans faiblesse par de semblables épreuves. Mais pour ne pas m’étendre là-dessus, je renvoie au discours que vous entendîtes hier, et à mon livre de la Consolation. J’écrivis ce livre dans le fort de ma douleur ; et par conséquent, dans un temps où je n’étais pas sage. Je fis ce que défend Chrysippe ; je voulus fermer une plaie encore trop récente, et je forçai la nature, pour venir à bout de vaincre, par la violence du remède, la violence du mal.

XXX. Sans revenir donc à la tristesse, puisque j’en ai suffisamment parlé, disons un mot de la crainte. Il y a un grand rapport entre les deux : l’un étant l’effet du mal présent et l’autre, du mal futur. Aussi quelques-uns ne regardent-ils la crainte que comme, une branche de la tristesse, et ils l’appellent son avant-courrière, ou une tristesse anticipée. Or les mêmes raisons qui nous donnent de la patience dans les maux présents, nous donnent du mépris pour les maux futurs. Gardons-nous, dans l’un et dans l’autre cas, de nous permettre rien d’efféminé, rien d’indécent. Songeons que la crainte est un effet de notre inconstance, de notre pusillanimité, de notre légèreté. Et surtout, considérons que ce qui paraît formidable est vraiment digne de mépris. Ainsi, soit hasard, soit dessein, c’est toujours fort à propos que nous avons parlé, dans nos deux premières conférences, des deux choses qu’on appréhende le plus, la mort, et la douleur. Si ce que je vous en ai dit vous a convaincu, la guérison de la crainte est bien avancée.

XXXI. Je viens de traiter des passions qui