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CICÉRON.

jeune homme plongé dans la débauche : mais ici nous examinons ce qui peut convenir à un homme sage. Car mon dessein, en décriant la colère, n’a pas été non plus de la blâmer sans quelque restriction. Elle pourra servir dans les troupes, à îles officiers subalternes. Elle pourra servir en d’autres occasions, sur lesquelles je ne m’explique pas plus clairement, pour ne pas découvrir les mystères vie la rhétorique. Un mouvement de colère sera utilement inspire a des gens incapables d’écouter la raison. Mais ici, encore une fois, il s’agit de savoir ce qu’un homme sage doit se nettre.

XXVI. On nous vante l’utilité de la pitié, de la jalousie. Au lieu d’avoir pitié d’un malheureux, (pie ne l’assisîez-vous, si vous pouvez ? A-t-on besoin d’être touché, pour être libéral ? Votre devoir, quand vous voyez quelqu’un dans la peine, ce n’est pas de la partager avec lui ; c’est de l’en délivrer, si vous pouvez. Que sert la jalousie ? À quoi bon se chagriner, ou de ce qu’un autre jouit d’un bien qui nous manque ; ou de ce qu’il jouit d’un bien égal au nôtre ? Pour celui qui nous manque, ne vaut-il pas mieux travailler à l’acquérir nous-mêmes, que de l’envier tristement ? Pour celui qui nous est commun avec d’autres, il y a une extravagance outrée à être lâches de n’en pas jouir nous seuls. Peut-on amener ce qui est mauvais à une médiocrité qui le rende bon ? Quelque brèche que fassent dans notre cœur la volupté, la cupidité, la colère, la tristesse, la crainte, n’en disposeront-elles pas à leur gré ? Un homme donc, qui sera voluptueux, avide, emporté, chagrin, pusillanime, vous le croirez un homme sage ? Qu’on doit bien se faire une autre idée de la sagesse ! Pour me renfermer dans ce peu de mots, je dirai qu’elle consiste à con ; naître les choses divines et les humaines, avec leurs causes, afin d’imiter la divinité, et de mettre bien au-dessous de la vertu tout ce qu’il y a d’humain. Voilà ce que fait le sage ; et comment donc l’avez-vous soupçonné de pouvoir être le jouet des passions, ainsi que la mer l’est des vents ? Qu’y aurait-il qui put l’ébranler, le déranger ? Un événement subit et imprévu ? Mais, quand on connaît tout ce qui peut arriver a l’homme, n’est-on pas prépare a tout ? Ceux qui disent qu’il faut retrancher ce qu’il y a d’excessif dans les passions, et en conserver ce qu’il y a de naturel, ne considèrent pas que la nature n’est l’auteur de rien qui puisse être poussé à l’excès. Aussi toutes les passions sont-elles des productions do l’erreur : et ce n’est pas assez de les élaguer ni de les étêter ; il faut en arracher jusqu’à la racine.

XXVII. Mais peut-être qu’en m’engageant à traiter cette question, vous avez moins songé au sage qu’à vous-même. Persuadé qu’il est exempt de passions, vous désireriez lui ressembler. Pour cela, voyons de quels puissants remèdes la philosophie vous ordonne de faire usage. Car il y en a certainement ; et la nature, qui a tant créé de choses salutaires au corps, n’a point été assez cruelle, assez ennemie de l’homme pour que son âme lut privée de tout secours. Elle l’a même d’autant plus favorisée, que les secours qui regardent le corps sont hors de lui : au lieu que tout ce qui est nécessaire pour le salut de l’âme, est renferme dans l’âme même. Mais plus elle est d’un ordre supérieur, plus elle demande d’attention. Que la raison soit hien consultée, ses lumières nous découvrent en quoi consiste le parfait. Qu’on ne la consulte pas, on embrasse beaucoup d’erreurs.