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TUSCULANES, LIV. IV.

est le genre, ont aussi leur utilité, selon ces mêmes philosophes. Car ils prétendent que la pitié sert à nous faire secourir ceux qui sont dans le besoin, et qui souffrent sans l’avoir mérité : Que la jalousie est avantageuse, soit qu’elle vienne de ce qu’un autre jouit comme nous d’un bien que nous possédons, soit qu’elle vienne de ce que nous ne possédons pas un bien dont un autre jouit : Que d’ôter la crainte aux hommes, ce serait leur ôter toute vigilance, puisque dès lors ils ne se mettraient en peine, ni des lois, ni des magistrats, ni de la pauvreté, ni de l’ignominie, ni de la mort. Telle est l’opinion des Péripatéticiens. À la vérité, ils veulent qu’on élague les passions, si j’ose ainsi parler : mais ils trouvent qu’il ne serait ni possible, ni même avantageux, de les extirper totalement ; parce qu’en toutes choses, ou peu s’en faut, le parfait consiste dans un juste milieu. Or cette opinion vous paraît-elle tout à fait digne de mépris, ou croyez-vous qu’elle mérite un peu d’examen ? L’a. Je le crois assurément ; et j’ai fort envie de voir comment on peut les réfuter. C. J’en viendrai peut-être à bout.

XXI. C. Mais d’abord, remarquez, je vous prie, quelle a été la retenue des Académiciens ; car ils vont précisément jusqu’où il faut aller. Ici grande altercation entre les Péripatéticiens et les Stoïciens. Qu’ils se battent les uns les autres tant qu’ils voudront. Peu m’importe à moi, qui ne cherche que le vraisemblable. Par où donc, dans la question présente, m’assurer de cette vraisemblance, qui est la borne de l’esprit humain ? Par la définition de ce qu’on appelle passion. Or je trouve excellente celle de Zénon : Un mouvement de Pâme, opposé à la raison, et contraire à la nature ; ou en moins de mots, Un appétit trop violent, c’est-à-dire, qui fait perdre à notre âme cette égalité, ou la nature la voudrait toujours. Que reprendre dans ces définitions ? Il y parait une grande pénétration, une grande justesse d’esprit. Mais ces phrases des Péripatéticiens, enflammer les cœurs, aiguiser la vertu, doivent être renvoyées au style pompeux des rhéteurs. Hé quoi ! un homme courageux ne pourra montrer de la valeur, à moins qu’il ne se mette en colère ? Je veux que cela soit vrai des gladiateurs, quoiqu’il ne le soit pas de tous ; car il y en a d’assez tranquilles avant le combat ; ils s’accostent, ils se parlent, ils font leurs conventions ; nous leur voyons plus de sang-froid que de colère. Je veux bien, dis-je, qu’il y en ait de tels que ce Pacidéien, qui parle ainsi dans Lucilius :

Veut-on le voir mourir ? Qu’il prenne son épée :
La mienne de son sang sera bientôt trempée.
C’est (ait de lui. Je sais qu’il pourra bien d’abord
Me porter quelques coups dans son premier effort :
Mais bientôt, triomphant de sa rage mutine,
Je plongerai ce fer au tond de sa poitrine.
Le faquin me déplaît. Seuls guides de mon bras,
Ma colère et ma baine assurent son trépas.

XXII. Mais ce n’est pas ainsi qu’Ajax, dans Homère, se présente au combat. Il marche gaiement à l’ennemi. Aussitôt l’allégresse est répandue parmi les Grecs, la terreur parmi les Troyens. Hector lui-même, comme le raconte Homère, en est ému, et se repent du défi qu’il a fait aux Grecs. On voit ces deux guerriers, avant que d’en venir aux mains, se parler de sang-froid ; et dans la chaleur même du combat, il ne se passe rien de part ni d’autre qui tienne de l’emportement. Aussi ne crois-je point que Torquatus fût en co-