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CICÉRON.

ler. Toutes les questions de morale nous y ramènent nécessairement. Je la définis, une qualité de l’âme, mais qualité permanente, invariable, qui, indépendamment de toute utilité, est louable par elle-même, et rend dignes de louanges ceux qui la possèdent. Par elle nous pensons, nous voulons, nous agissons conformément à l’honnêteté, et a la droite raison. Pour tout dire en un mot, la vertu est la raison même. À la vertu, prise en ce sens, il faut opposer la corruption de i’âme. J’entends par là, non quelque vice en particulier, mais un mauvais fonds, qui renferme tous les vices, et d*où procèdent les passions, c’est-à-dire, comme nous l’avons expliqué, d’impétueux mouvements, contraires à la raison, et funestes à la tranquillité de la vie. Car tantôt elles nous livrent à une tristesse cruelle : tantôt elles nous affaiblissent et nous abattent par la crainte : tantôt elles allument en nous une cupidité qui franchit toutes les bornes de la modération : et Iorsqu’enfin nous nous croyons parvenus à jouir de notre objet, la violence de nos désirs fait place à des transports de joie qui nous mettent hors de nous, et dont quelqu’un a très-bien dit, que ce qui fait le comble de la joie, c’est le comble de la folie. Remède unique pour tous ces divers maux, la vertu. Je les appelle des maux.

XVI. Car quelle plus grande misère pour l’homme, et rien le défigure-t-il plus honteusement, que d’être affaibli, exténué, terrassé par la tristesse ? L’état ou l’on est réduit par la crainte, n’a rien de moins douloureux : et c’est de ce supplice que les poètes ont voulu nous tracer l’image, en nous peignant Tantale dans les enfers, avec un rocher au-dessus de sa tête, toujours prêt à tomber, pour le punir de ses crimes. Jamais la folie ne marche qu’accompagnée de la crainte ou de la tristesse. Car quiconque s’écarte de la raison, ou dès lors il en porte la peine, ou il sent qu’elle n’est pas loin. Et comme le propre de ces deux passions est de nous dessécher l’âme, de nous consumer, aussi les deux autres, qui sont une insatiable cupidité et une joie excessive, quoiqu’elles aient quelque chose de plus gai, ne laissent pas d’être l’extravagance même, ou peu s’en faut. Présentement il est aisé de juger quel est l’homme vertueux, l’homme raisonnable, toujours égal, toujours exactement renfermé dans les limites de la modération, ou, pour tout dire enfin, le seul qui mérite le nom « d’homme de bien. » Tel est le sage des Stoïciens, à les en croire. Peut-être donnent-ils un peu trop dans le merveilleux.

XVII. Quoi qu’il en soit, l’homme toujours modéré, toujours égal, toujours en paix avec lui-même, jusqu’au point de ne se laisser jamais, ni accabler par le chagrin, ni abattre par la crainte, ni enflammer par de vains désirs, ni amollir par une folle joie, c’est là cet homme sage, cet homme heureux que je cherche. Rien sur la terre, ni d’assez formidable, pour l’intimider ; ni d’assez estimable, pour lui enfler le cœur. Que verrait-il dans tout ce qui fait le partage des humains, qu’y verrait-il de grand, lorsqu’il se met l’éternité devant les yeux, et qu’il conçoit l’immensité de l’univers ? A quoi se bornent les objets, qui sont à notre portée ! A quoi se bornent nos jours ! Et d’ailleurs un homme