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TRAITÉ

DES LOIS.

PRÉFACE.

rsque Platon eut tracé le plan d’une cité par-

faite, dans ee Traité de morale qu’il nomma la

tiblique, il composa les douze Livres des Lois, ouvrage moins brillant et peut-être plus solide, où se fait sentir déjà la main de la vieillesse, qui re- froidit le poëte et mûrit le philosophe. Cicéron, sou disciple et son imitateur, après avoir écrit six Livres sur la République, voulut aussi , dans un Traité particulier, donner la législation positive du

ivernement dont il avait exposé la théorie. Dans

République de Platon , l’imagination semble avoir

té presque autant de lignes que la réflexion ; et le sacre Athénien, étranger aux affaires politiques, a peut-être cherché dans la liberté de la spéculation une perfection imaginaire. Ses Lois ne sont point relies de sa République. En observant les diverses constitutions des États de la Grèce, particulière- ment celles de Crète et de Lacédémone, Platon s’est proposé de rechercher le but de la législation, et les movens d’atteindre ce but ; et son ouvrage n’est qu’un recueil de considérations générales et de vues pratiques sur l’économie de la société. Le consul romain n’avait pas formé le plan de sa Ré- publique d’une manière aussi indépendante, aussi abstraite que le philosophe des idées ; il ne l’a pas suivi davantage dans ses Lois. Dans le premier Traité, Scipion, après avoir discuté les principes de la politique, en présentait, comme l’application la plus iidele, l’antique constitution de Rome. Lié par cet engagement, lorsque Cicéron voulut faire un système de lois, il n’eut qu’à développer l’es- prit des lois romaines , dont son ouvrage , excepté le premier Livre, n’est, à peu de chose près , qu’un commentaire.

I"n jour d’été, Platon, en parcourant le chemin ombragé de platanes qui conduit de Gnosse à la crotte où fut nourri Jupiter, s’entretient sur la légis- lation avec un Cretois et un Spartiate qui suivent la même route, et cet entretien est le Traité des Lois. Cicéron, le matin aussi d’un jour d’été, se promène dans les environs de sa maison de cam- pagne d’Arpinum, avec Quintus Cicéron son frère, ni T. Pomponius Atticus. Là, près du

brène, obscur ruisseau qu’il a rendu célèbre, ils rencontrent un chêne qu’Atticus croit reconnaître pour ceiui sur lequel Marius avait vu un étonnant présage ; ainsi du moins le racontait le poème que Cicéron ■-■ ait consacre a sagloire.Cettecirconstance amené la conversation sur la différence de la véra-

ité du poëte et de celle de l’historien ; et Atticus en

prend occasion d’exhorter son ami à donner à leur patrie ce qu’elle n’avait point, une histoire digno d’elle. Cicéron répond qu’il réserve ce travail pour l’âge où, renonçant à la plaidoirie, il se bornera aux fonctions de jurisconsulte. Mais pourquoi, lui dit Atticus, n’écririez-vous pas dès aujourd’hui sur la jurisprudence, et ne publieriez-vous pas les ré- sultats de votre expérience des affaires et de vos mé- ditations sur le droit ? Cicéron fait sur-le-champ ce qu’Atticus lui propose ; et le fruit de cette pro- menade d’une journée sur les bords du Liris et du Fibrène, est le Traité des Lois.

Le premier Livre est purement philosophique. Après le préambule, remarquable par l’élégance et le charme du style, Cicéron se propose, le premier sans doute des jurisconsultes romains, la grande question morale de l’origine du droit. C’est déjà un mérite que d’avoir compris qu’une solution quel- conque de cette question était un préalable néces- saire à toute étude du droit écrit, puisque en effet, selon cette solution, la législation devient une com- binaison changeante comme les circonstances, ou une science immuable comme la vérité.

C’est ce que beaucoup de jurisconsultes et de publicistes ont paru ignorer ou du moins oublier, même parmi les modernes. Il a fallu presque tou- jours qu’à leur défaut les philosophes se chargeas- sent d’asseoir la jurisprudence sur une base solide ; il a fallu que les métaphysiciens relevassent au rang des sciences rationnelles, en lui imprimant le sceau de la conséquence et de la certitude.

Au temps et dans le pays de Cicéron, c’était une innovation, c’était une véritable découverte que d’établir, que de soupçonner seulement une rela- tion intime, une dépendance nécessaire entre le droit positif et la question de la nature même du droit.

Cette question est celle de l’origine ou des fonde- ments de la justice, de la réalité des distinctions mo- rales, des limites du bien et du mal, de la raison du devoir, de l’immutabilité de la vertu : tous ces noms reviennent au même.

Sous des noms divers aussi, les philosophes grecs l’avaient agitée longtemps avant Cicéron, et presque toutes les opinions soutenues depuis par les modernes avaient été développées ou du moins lencées par eux. Adam Smith les ramène à trois principales, dans un examen critique placé a la fin du livre où il a exposé la sienne, qui assuré- ment n’en forme pas une quatrième. Selon lui , les philosophes ont donné à la vertu l’un de ces trois principes : l’intérêt ou l’amour de soi, la raisou