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tice. Donnez le choix à l’homme entre ces trois partis : faire le mal et ne point le souffrir, le faire et le souffrir, l’éviter sans le faire ; lequel sera préféré ? Le premier, faire le mal impunément. Et ensuite ? l’éviter à la condition de ne point le faire. Le plus triste des trois est de passer sa vie dans une lutte continuelle, faisant le mal et le recevant tour à tour. Celui donc qui peut avoir le premier destin……(LACUNE)

XV. [Voici en substance les arguments de Carnéade : Les hommes se sont fait des lois pour servir leurs intérêts, lois qui varient selon les mœurs, qui changent dans une même nation, selon les temps ; quant au droit naturel, c’est une chimère. Tous les hommes, et en général tous les êtres animés, n’ont d’autre mobile naturel que l’amour d’eux-mêmes. Il n’y a point de justice au monde ; et si elle existait quelque part, ce serait une insigne folie pour un homme que de rendre service aux autres à son préjudice. Carnéade ajoutait : Si tous les peuples dont l’empire est florissant, si les Romains surtout, qui sont maîtres de l’univers, voulaient pratiquer la justice, c’est-à-dire restituer le bien d’autrui, il leur faudrait revenir à leurs anciennes cabanes, et végéter dans la pauvreté et la misère.] Lactance, Inst., v, 16…… Les peuples ne posséderaient plus un pouce de territoire, si ce n’est peut-être les Arcadiens et les Athéniens, qui, redoutant sans doute ce grand acte de justice dans l’avenir, ont imaginé de prétendre qu’ils étaient sortis de terre, comme ces rats qui naissent du sol dans les campagnes.

XVI. Parmi ceux qui prétendent nous réfuter, nous trouvons d’abord ces philosophes d’une bonne foi si parfaite, qui semblent ici avoir d’autant plus d’autorité que, dans une discussion où il s’agit de l’homme de bien, lequel, selon nous, est d’abord franc et ouvert, ils n’apportent ni finesse, ni fourberie, ni malice. Ils disent que si le sage est homme de bien, ce n’est pas que la bonté et la justice le séduisent par elles-mêmes, mais parce que la vie des gens de bien n’est agitée ni de craintes, ni de soucis, ni d’angoisses, ni de périls ; tandis que les méchants sont toujours déchirés par quelques remords, et poursuivis de l’image des condamnations et des supplices. Ils disent qu’il n’est aucun avantage, aucun bien si précieux acquis par l’injustice, qui vaille les tourments qu’il cause, les terreurs sans cesse renouvelées de l’homme qui sent le glaive des lois suspendu sur sa tête. (LACUNE)

XVII. [Supposez, je vous prie, deux hommes, dont l’un soit un modèle de vertu, d’équité, de justice, de bonne foi, l’autre le plus insigne et le plus effronté scélérat du monde ; supposez que leurs concitoyens soient tellement abusés qu’ils regardent l’homme de bien comme un misérable, un criminel, un infâme ; le scélérat, au contraire, comme un homme d’un honneur et d’une probité parfaite ; et qu’en conséquence de ce préjugé de tout un peuple l’homme de bien soit persécuté, traqué, jeté dans les fers, qu’on lui crève les yeux, qu’il soit condamné, lié, torturé, proscrit, mourant de faim, et que tant de misères paraissent à tous les yeux un juste châtiment ; que le méchant, au contraire, soit loué, honoré, chéri de tous ; qu’on lui prodigue les dignités, les comman-