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méthode habituelle d’examiner tour à tour les deux cotés de chaque question, pour arriver plus aisément à découvrir la vérité ! — Eh bien, soit ! dit Philus, je vous obéirai, et je prendrai un masque odieux pour vous plaire. On se fait bien d’autres violences quand on poursuit la fortune ! nous qui recherchons la justice, dont le prix efface de beaucoup toutes les richesses du monde, nous ne devons reculer devant aucune épreuve. Plût aux Dieux qu’en parlant un langage qui n’est pas le mien, je pusse me servir aussi de la bouche d’un autre ! Malheureusement il faut aujourd’hui que L. Philus reproduise ce que Carnéade, un Grec, un homme si habile à manier la parole……(LACUNE) [Ce n’est donc pas mes propres sentiments que j’exprimerai, mais je vous livrerai en quelque façon Carnéade, afin que vous puissiez réfuter ce raisonneur subtil, dont les chicanes savent embarrasser les meilleures causes.] Nonius, iv, 71.

VI. [Carnéade, philosophe académicien, savait discuter avec une grande force, une grande éloquence et une extrême finesse. Cicéron en parle avec beaucoup d’éloges, et Lucilius fait dire à Neptune, qui se perd dans une questions très difficile, qu’elle restera à tout jamais insoluble, quand même l’enfer rendrait exprès Carnéade au monde. Envoyé par les Athéniens en ambassade à Rome, Carnéade parla fort éloquemment de la justice, en présence de Galba et de Caton le Censeur, les deux plus grands orateurs de ce temps. Mais le lendemain il ruina complètement tout son discours de la veille, et décria la justice qu’il avait portée aux nues. Ce n’était pas là la gravité d’un philosophe, qui doit avoir des sentiments arrêtés et immuables ; mais Carnéade voulait montrer toute la souplesse de son talent oratoire, exercé à soutenir également bien le pour et le contre, et qui le rendait capable de réfuter aisément tout ce qu’on lui voulait soutenir. Cicéron a mis dans la bouche de L. Furius l’argumentation de Carnéade contre la justice, sans doute parce que, traitant de la république, il avait le dessein d’amener la défense et l’éloge de cette vertu sans laquelle il était convaincu qu’on ne peut gouverner les États. Carnéade, au contraire, qui voulait réfuter Aristote et Platon, les deux plus fermes partisans de la justice, rassembla dans son premier discours tout ce qui était dit en faveur de cette cause, afin de pouvoir la ruiner ensuite, comme effectivement il y parvint.] Lactance, Instit., v, 14.

VII.[Un grand nombre de philosophes, Platon et Aristote en tête, ont dit mille choses à la louange de la justice, dont ils faisaient le plus magnifique portrait. C’est, disaient-ils, une vertu qui rend à chacun ce qui lui appartient, et maintient en tout la plus stricte équité ; les autres vertus sont en quelque façon muettes, et demeurent renfermées dans l’âme ; seule, la justice ne se dérobe point aux regards et ne se concentre point en elle-même, mais elle se produit toute au dehors, inspire à l’âme une bienveillance universelle, et cherche à multiplier ses bons offices. Comme si la justice ne convenait qu’aux juges et aux puissants, et non pas à tout le monde ! Mais il n’est pas un seul homme, je dis même le dernier et le plus misérable, qui ne doive pratiquer la justice. Ces phi-