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TUSCULANES, LIV. III.

coup de peine à trouver des remèdes pour les autres. En effet il y a de certaines choses qu’on a coutume de dire au sujet de la pauvreté ; et d’autres au sujet de la vie oisive et privée. Nous avons d’excellents ouvrages sur l’exil, sur la destruction de la patrie, sur l’esclavage. Nous en avons pour consoler ceux qui ont eu le malheur de devenir perclus, ou aveugles ; et pour tout ce qui s’appelle calamité. Les Grecs en ont fait des traités séparés : car ils aiment à se tailler de la besogne ; et il est vrai qu’on a du plaisir à voir ainsi les matières discutées à fond. Comme les médecins, après la guérison du corps entier, ne laissent pas de s’appliquer à la cure des moindres parties qui deviennent malades, il en est de même de la philosophie. Après qu’elle a travaillé à purger l’âme de toutes passions, s’il en survient néanmoins quelque nouvelle ; si l’homme est humilié par la pauvreté ; s’il est consterné par l’ignominie ; s’il est troublé par les horreurs de l’exil ; s’il a enfin de ces sortes d’afflictions dont je viens de parler ; la philosophie a pour chacune des remèdes propres, que je vous apprendrai quand il vous plaira. Mais il en faut toujours revenir à ce principe, que la sage ne se livre point à la tristesse, parce qu’elle est sans fondement ; parce qu’elle n’est d’aucun secours ; parce qu’elle ne vient point de la nature, mais du choix de l’homme, et de sa prévention, qui l’invite en quelque manière à s’affliger, quand il s’est mis dans la tête que cela doit être ainsi. Revenez de cette erreur, qui est toute volontaire, et vous ne laisserez plus éclater votre douleur. Vous aurez tout au plus l’âme émue, le cœur serré. Qu’on dise, si l’on veut, que cette émotion est naturelle, à la bonne heure ; pourvu qu’on bannisse à jamais cette sensibilité outrée, horrible, de mauvais augure, et qui ne peut compatir, ni, pour ainsi dire, habiter avec la sagesse. Jusqu’où n’étend-elle point ses racines ? Qu’elles sont multipliées ! Qu’elles sont arrières ! Je prétends bien, après en avoir renversé le tronc, les arracher une à une, et, s’il le faut, par autant de dissertations particulières, puisqu’aussi bien le malheur des temps m’en donne le loisir. Sous des noms différents, le chagrin est toujours la même chose. Jalousie, envie, peine qu’on ressent du bonheur d’autrui, pitié, affliction, tristesse, abattement, douleur, gémissements, inquiétudes, soucis, ennuis, consternation, désespoir : les Stoïciens distinguent tous ces mouvements de l’âme, et les définissent chacun à part ; comme je ferai peut-être aussi dans une autre occasion. Quoi qu’il en soit, les voilà ces racines, que je dis qu’il faut extirper, de manière qu’il n’en reste aucune. Je conviens que l’entreprise est difficile : mais parvient-on à rien de grand, qu’il n’en coûte beaucoup ? Pourvu que nous soyons dociles aux leçons de la philosophie, elle nous répond du succès. Voilà ce que j’avais à dire pour aujourd’hui. Toutes les fois qu’il vous plaira, vous m’entendrez sur le reste, soit dans ce même lieu, soit ailleurs.


LIVRE QUATRIÈME.
DES PASSIONS.
Qu’il faut les vaincre.

I. Je ne puis, Brutus, qu’admirer l’esprit et les vertus de nos pères, quand je pense à ce qu’ils