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chaînes à l’avenir ; enfin, à toutes les époques où le peuple, ruiné par une calamité publique et dévoré par sa dette, fut réduit aux abois, on chercha dans l’intérêt commun un soulagement et des remèdes à ses maux. Mais alors on n’écouta point les conseils de cette sage politique, et l’on donna occasion au peuple d’obtenir par une révolte la création de deux tribuns, et d’affaiblir le pouvoir et l’autorité du sénat. Cependant les nobles conservèrent encore beaucoup d’ascendant ; les grandes familles donnaient toujours à l’Etat ces hommes d’une sagesse consommée et d’un hardi courage, qui étaient le boulevard de la république. Savez-vous ce qui établissait principalement leur empire sur les esprits ? C’est qu’au milieu des honneurs ils s’interdisaient tous plaisirs, et partageaient presque la pauvreté du peuple ; c’est qu’ils se frayaient la route à une grande popularité politique, en obligeant, avec une application extrême, tous les citoyens de leur aide, de leurs conseils, de leur propre bien, dans les circonstances critiques de la vie privée.

XXXV. Telle était la situation de la république, lorsque Sp. Cassius, l’un des hommes les plus populaires que l’on vit jamais, fut accusé par le questeur d’affecter la royauté, et mis à mort, comme vous le savez, sur le témoignage de son père qui le déclarait coupable, et de l’aveu du peuple. Cinquante-quatre ans environ après l’établissement de la république, les consuls Sp. Tarpéius et A. Aternius firent une chose agréable au peuple, en proposant aux comices par centuries leur loi sur la consignation de l’amende. Vingt ans après, comme les censeurs L. Papirius et P. Pinarius, en appliquant ces amendes, confisquaient au profit de l’Etat les troupeaux d’une foule de particuliers, une loi qui permettait le rachat des troupeaux moyennant une légère somme d’argent fut portée par les consuls C. Julius et P. Papirius.

XXXVI. Mais quelques années auparavant, alors que le sénat exerçait une autorité presque sans limites, de l’aveu du peuple qui la respectait, on vit tout à coup un grand changement : les consuls et les tribuns du peuple abdiquèrent, et l’on créa sans appel dix magistrats investis du pouvoir suprême, pour gouverner la république et donner à Rome un code de lois. Après avoir rédigé dix tables de lois avec une sagesse et une équité merveilleuses, ces décemvirs se donnèrent à la fin de l’année dix successeurs, qui ne méritèrent pas la même réputation d’honneur et de justice. On cite cependant avec grands éloges ce trait de C. Julius, l’un d’eux. Un cadavre avait été déterré dans la chambre du patricien L. Sextius, et en présence du décemvir ; Julius le déclarait ; magistrat sans appel, il était tout puissant, et cependant il consentit à recevoir la caution de l’accusé, et déclara qu’il ne voudrait à aucun prix enfreindre cette belle loi, en vertu de laquelle le droit de prononcer sur l’existence d’un citoyen romain n’appartenait qu’à l’assemblée du peuple.

XXXVII. Une troisième année s’ouvrit. Les mêmes décemvirs conservèrent le pouvoir ; ils n’avaient pas voulu se donner de successeurs. Mais la république se trouvait dans un de ces états qui ne peuvent durer, car il n’y avait point d’égalité entre les différents ordres de la nation ; tout le pouvoir était concentré dans la main des grands ; dix hommes, choisis parmi les premières familles, avaient l’autorité souveraine ; point de tribuns du peuple pour les tenir en respect ; point d’autres magistrats admis à partager leur puissance ; point d’appel au peuple contre des châtiments indignes ; point de recours contre un ar-