Page:Cicéron - Œuvres complètes Nisard 1864 tome 4.djvu/324

Cette page n’a pas encore été corrigée
314
CICÉRON.

bien le caractère du despote, que les Grecs nomment tyran ; car ils n’accordent le titre de roi qu’à celui qui veille aux intérêts du peuple comme un père, et qui s’emploie sans cesse à rendre la condition de ses sujets la plus heureuse possible. La royauté est, comme je l’ai dit, une forme de gouvernement très digne d’éloges, mais qui malheureusement se trouve toujours sur une pente fort rapide et singulièrement dangereuse. Dès que l’autorité royale s’est changée en une domination injuste, il n’y a plus de roi, mais un tyran, c’est-à-dire le monstre le plus horrible, le plus hideux, le plus en abomination aux Dieux et aux hommes, que l’on puisse concevoir ; il porte les traits d’un homme, mais il a le cœur plus cruel que le tigre. Comment reconnaître pour un homme celui qui ne veut entrer ni dans la communauté de droits qui fait les sociétés, ni dans la communauté de sentiments qui unit le genre humain ? Mais nous trouverons une occasion plus convenable pour parler de la tyrannie lorsque nous aurons à nous élever contre les citoyens qui, au sein d’un Etat rendu à la liberté, osèrent aspirer à la domination.

XXVII. Vous venez donc de voir se former le premier tyran ; je conserve ce nom donné par les Grecs aux rois injustes, quoique nos Romains aient appelé rois sans distinction tous ceux qui avaient seuls une autorité perpétuelle sur les peuples. C’est ainsi que l’on accusa Spurius Cassius, M. Manlius et Spurius Mélius d’avoir voulu s’élever à la royauté, et que tout récemment encore Tib. Gracchus… (LACUNE)

XXVIII. Lycurgue, à Lacédémone, donna le nom d’Anciens aux membres trop peu nombreux, puisqu’ils n’étaient que vingt-huit, d’un conseil à qui il attribua le droit suprême de délibération, tandis que le roi conservait le droit suprême de commandement. Nos ancêtres imitèrent son exemple, et traduisirent même son expression, en appelant Sénat ( « Senatus » ) ceux qu’il avait nommés Anciens ( « Senes » ) ; c’est ce que Romulus fit lui-même, nous l’avons déjà dit à l’égard des Pères qu’il avait institués. Cependant, au milieu d’une telle constitution, quoi qu’on fasse, la prépondérance appartient toujours à la royauté. Vous accordez quelques droits au peuple, comme Lycurgue et Romulus : croyez-vous donc lui donner toute la liberté qu’il rêve ? Vous ne faites qu’irriter sa soif d’indépendance, en lui permettant de goûter cette liberté séduisante. En tout cas, on aura toujours à craindre que le roi (ce qui n’arrive que trop souvent) ne devienne un maître injuste. C’est donc pour un peuple une destinée fragile que celle qui dépend du bon vouloir et des inclinations d’un seul homme.

XXIX. Je vous ai montré le premier modèle du despote, et je vous ai fait observer l’origine de la tyrannie dans cet Etat que Romulus avait fondé sous la protection des Dieux, et non dans cette république dépeinte par l’éloquence de Platon, et conçue dans les promenades philosophiques de Socrate, afin de pouvoir opposer à Tarquin portant un coup mortel à l’autorité royale, non par l’usurpation d’une puissance nouvelle, mais par l’injuste emploi de son légitime empire, cet autre chef, bon, sage, éclairé sur les intérêts de l’État, jaloux de sa dignité, en un mot le véritable tuteur de la république ; car c’est ainsi que l’on doit nommer tous ceux qui savent régir et gouverner les nations. Reconnaissez l’homme dont je vous parle ; c’est celui dont la sagesse et l’active vigilance sont les garanties de la fortune pu-