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les formes de gouvernement, c’est la plus sujette à altération, parce qu’il suffit des fautes d’un seul homme pour la précipiter dans le plus funeste abus avec une facilité déplorable. Je suis fort loin d’attaquer la royauté en elle-même, et je ne sais trop si je ne la préférerais pas de beaucoup aux autres gouvernements simples, en supposant que je pusse approuver une constitution qui ne fût pas mixte. Mais la royauté ne mérite cette préférence qu’alors qu’elle est fidèle à son institution ; et l’on en reconnaît le vrai caractère lorsque les citoyens doivent leur salut, le maintien de leur égalité et leur repos au pouvoir perpétuel, à la justice et à la haute sagesse d’un seul. Il manque beaucoup de choses au peuple sous la domination royale, et avant tout la liberté, qui ne consiste pas à avoir un bon maître, mais à n’en point avoir… (LACUNE)

XXIV… Ce maître injuste et cruel, secondé par la fortune, vit dans les premières années tout lui succéder avec bonheur. Le Latium entier reconnut la supériorité de ses armes ; il prit Suessa Pométia, une ville des plus opulentes ; avec les immenses trésors qu’il en tira, il put acquitter le vœu de son père, et bâtir le Capitole ; il fonda plusieurs colonies, et, fidèle aux usages de ses pères, il fit porter au temple de Delphes, en offrande à Apollon, des dons magnifiques, prémices des dépouilles de l’ennemi.

XXV. Ici nous allons assister à une de ces révolutions dont il nous faut étudier dès le principe le cours naturel et l’ordre des vicissitudes. Car l’objet par excellence de la sagesse politique, dont nous essayons de tracer les règles dans cette discussion, est de savoir par quelles routes directes ou détournées s’avancent les corps politiques, afin de pouvoir, en prévoyant leurs errements funestes, conjurer ou combattre leurs périls. Et d’abord le roi dont je parle, souillé du meurtre d’un excellent prince, avait l’esprit à demi perdu ; tremblant lui-même à l’idée qu’il devait expier son crime par quelque châtiment terrible, il voulait que tout le monde tremblât sous lui. Exalté par ses victoires et ses grandes richesses, il se laissait aller aux derniers degrés de l’insolence, impuissant à régler ses mœurs et à contenir les passions des siens. Aussi arriva-t-il que son fils aîné ayant fait violence à Lucrèce, fille de Tricipitinus, épouse de Collatin, et cette femme noble et chaste s’étant donné la mort en réparation de cet outrage, un homme plein de vertu et de génie, L. Brutus, brisa le joug odieux qui opprimait ses concitoyens : homme privé, il prit en main la cause de toute la nation, et montra le premier parmi nous que, lorsqu’il faut sauver la liberté de la patrie, tout citoyen devient homme public. A sa voix, Rome entière se soulève ; la vue du père de Lucrèce et de tous ses proches plongés dans le deuil, le souvenir de l’arrogance de Tarquin et de mille injures faites au peuple par le tyran et par ses fils, indignent les esprits, et l’exil est prononcé contre le roi, contre ses fils, et toute la famille des Turquins.

XXVI. Voyez-vous donc comment le roi fit place au despote, et comment, par la perversité d’un seul, une des meilleures formes de gouvernement devint la plus odieuse de toutes ? Tel est