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CICÉRON.

du cens le plus élevé. Ensuite, après avoir séparé le corps nombreux des chevaliers de la masse du peuple, il divisa le peuple lui-même en cinq classes, et distingua les plus âgés des plus jeunes. Il régla tous ces ordres de manière à donner plus de valeur aux suffrages des riches qu’à ceux de la multitude, et il prit grand soin (ce que l’on ne doit jamais négliger dans la constitution d’un État) de ne pas laisser la puissance au nombre. Je vous expliquerais tout le travail de Servius, si vous ne le connaissiez déjà parfaitement. En deux mots, voici le système de cette politique : les centuries des chevaliers augmentées de six centuries nouvelles, et la première classe, en y ajoutant la centurie des charpentiers, que l’on y comprend à cause de leur extrême importance pour la ville, forment réunies quatre-vingt-neuf centuries : qu’il s’y joigne seulement huit centuries des cent quatre qui restent, et voilà une majorité qui fait loi et vaut pour tout le peuple. Les autres centuries, au nombre de quatre-vingt-seize, contiennent une multitude beaucoup plus considérable, qui n’est pas exclue des suffrages, ce qui serait tyrannique, mais qui ne peut avoir de prépondérance, ce qui serait dangereux. Servius choisit même avec soin les noms qu’il donne aux différentes classes de citoyens ; il appela les riches les imposés, parce qu’ils fournissaient l’impôt ( « assiduos ab aere dando » ) ; et ceux qui ne possédaient pas plus de quinze cents as, ou qui même n’avaient à déclarer au cens rien de plus que leur tête, il les nomma prolétaires, pour faire voir que la république attendait d’eux en quelque façon une race ( « proles » ), une postérité. Or, dans chacune des quatre-vingt-seize dernières centuries il y avait plus de citoyens inscrits peut-être que dans toute la première classe. Par cette combinaison, personne n’était exclu du droit de suffrage, mais la prépondérance appartenait à ceux qui avaient le plus d’intérêt à la prospérité de la république. De plus, les soldats surnuméraires, les trompettes et les cors de l’armée, les prolétaires… (LACUNE)

XXIII. (La meilleure forme de constitution politique est celle qui réunit dans un juste tempérament les trois sortes de gouvernement, royal, aristocratique et populaire, et qui n’irrite point par les châtiments des esprits rudes et intraitables.) Scipion :… Telle fut à peu près Carthage, plus ancienne que Rome de soixante-cinq ans, puisqu’elle fut fondée trente-neuf ans avant la première Olympiade. Lycurgue, qui est encore beaucoup plus ancien, avait des vues semblables. Ce système mixte, où les trois formes de gouvernement se trouvent réunies, me paraît donc nous avoir été commun avec ces peuples. Mais il est un trait distinctif de la constitution romaine que je veux m’attacher à mettre en lumière, parce qu’aucune autre république ne nous offre rien de semblable. Nous venons de voir dans la Rome royale, nous retrouvons à Lacédémone et à Carthage le mélange des diverses formes de gouvernement, mais non pas leur équilibre. Dès lors qu’il y a dans un État un homme revêtu d’un pouvoir perpétuel, surtout de l’autorité royale, quand même on rencontrerait auprès de lui un sénat comme à Rome sous nos rois, et à Sparte sous les lois de Lycurgue, quand même le peuple aurait conservé quelques droits comme parmi nous à l’époque du gouvernement royal, cependant la royauté a toujours la prépondérance, et il est impossible qu’un tel État ne soit pas une monarchie et n’en porte pas le titre. Mais de toutes