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rable, c’est que tous les autres hommes dont on a fait des dieux ont vécu pendant des siècles de barbarie, où l’ignorance et la crédulité rendaient facile une pareille fiction ; tandis que nous voyons Romulus, séparé de nous par moins de six siècles, appartenir à un âge où les lettres et les sciences avaient déjà pris un grand développement, et où les erreurs d’une civilisation naissante étaient depuis longtemps dissipées. Si l’on s’en rapporte à la supputation des annales grecques, Rome fut fondée la seconde année de la septième Olympiade, et par conséquent Romulus vivait à une époque où déjà la Grèce était pleine de poètes et de musiciens, et où l’on n’ajoutait guère de foi aux fables qui ne remontaient pas à une certaine antiquité. Car les lois de Lycurgue sont antérieures de cent huit ans à la première Olympiade, quoique plusieurs auteurs, trompés par une erreur de nom, aient attribué l’institution des Olympiades à Lycurgue lui-même ; et Homère, suivant les calculs les moins élevés, vivait trente ans avant Lycurgue. Il est donc constant qu’Homère précéda Romulus d’un grand nombre d’années ; et qu’au temps du fondateur de Rome, l’éducation des esprits, les lumières généralement répandues laissaient peu de place à une fiction nouvelle. La crédule antiquité a reçu beaucoup de fables grossières ; mais cet âge déjà cultivé, prêt à rire de ce qui est impossible, se tint en garde contre les fictions (LACUNE)— On crut cependant à la divinité de Romulus dans un temps où l’expérience avait mûri les esprits, où l’homme se connaissait lui-même. Mais il avait montré tant de vertu et de génie, que le peuple n’hésita pas à se laisser persuader de lui ce que depuis bien des siècles on n’avait voulu croire d’aucun mortel, alors que Julius Proculus, un homme simple envoyé par les Pères, qui tenaient à écarter loin d’eux le soupçon de la mort de Romulus, vint déclarer dans l’assemblée publique que Romulus lui était apparu sur la colline que l’on appelle maintenant Quirinale, lui avait ordonné de demander au peuple qu’un temple lui fût élevé sur cette colline, ajoutant qu’il était dieu et s’appelait Quirinus.

XI. Voyez-vous donc comment la sage politique d’un seul a créé un nouveau peuple, et, loin de l’abandonner à ses premiers efforts, comme un enfant au berceau, a présidé à son développement, et l’a conduit jusqu’aux abords de la virilité ? — Nous le voyons, dit Lélius ; mais ce que nous voyons aussi, c’est que vous suivez une méthode toute nouvelle, que ne nous offre aucun des livres grecs. Le prince des philosophes et le plus parfait des écrivains s’est choisi lui-même un terrain entièrement libre, pour y construire une cité à sa guise ; création admirable sans doute, mais qui n’est pas faite pour des hommes et répugne à la réalité. Les autres, sans avoir les yeux fixés sur un modèle de république, ont traité successivement des diverses formes politiques et des constitutions sociales. Il me semble que vous voulez réunir les deux méthodes : dès le début, vous vous êtes élevé à des considérations que vous avez mieux aimé mettre dans la bouche des autres que de produire en votre nom, comme le fait Socrate dans les écrits de son disciple ; c’est ainsi, par exemple, que vous rapportez à des raisons profondes le choix que fit Romulus, par hasard ou par nécessité, de l’emplacement de Rome ; et maintenant,