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Et d'ailleurs tous ces rivages de la mer sont des lieux si charmants! on y respire le goût d'une vie fastueuse et molle; comment s'en défendre? Ce que j'ai dit de Corinthe, je crois qu'on pourrait le dire avec une parfaite vérité de la Grèce entière. Presque tout le Péloponnèse est maritime; si vous en exceptez le pays de Phliunte, toutes les contrées en sont baignées par la mer: hors du Péloponnèse je ne vois que les Enianes, les Doriens et les Dolopes qui ne touchent pas à la mer. Que dirai-je des îles de la Grèce? Elles semblent bercées par les flots qui les enveloppent, elles, leurs institutions et leurs moeurs. Mais ce n'est là, comme je l'ai déjà dit, que l'ancienne Grèce. Jetez les yeux sur les colonies qu'elle a fondées en Asie, en Thrace, en Italie, en Sicile, en Afrique : en trouverez-vous une seule, si ce n'est Magnésie, qui ne soit baignée par les eaux? Il semble qu'une ceinture détachée de la Grèce soit venue border toutes les contrées barbares. Car il n'y avait dans les temps anciens d'autres peuples maritimes que les Étrusques et les Carthaginois, les uns commerçants , les autres pirates. Il me paraît donc évident qu'il faut attribuer tous les maux et les révolutions des sociétés grecques à ces vices des cités maritimes que je viens de toucher en peu de mots. Mais, au milieu de ces graves inconvénients, il faut reconnaître un grand avantage : c'est que les productions de tous les pays du monde viennent comme d'elles-mêmes se réunir dans la ville que vous habitez, et qu'en retour vous pouvez porter ou envoyer par toute la terre les récoltes de vos campagnes.

V. Romulus pouvait-il donc, pour donner à sa ville naissante tous les avantages d'une position maritime et lui en sauver les inconvénients, être mieux inspiré qu'il ne le fut, en l'élevant sur les bords d'un fleuve dont les eaux toujours égales et ne tarissant jamais vont se verser dans la mer par une large embouchure; par la voie duquel la cité peut recevoir de la mer ce qui lui manque, et lui rendre en retour ce dont elle surabonde, et qui alimente perpétuellement nos marchés par la communication incessante qu'il établit entre la mer et Rome d'un côté, de l'autre entre la ville et l'intérieur des terres? Aussi je n'hésite pas à le croire, Romulus avait pressenti dès lors que sa nouvelle cité serait un jour le siége d'un immense empire. Imaginez cette ville située dans toute autre partie de l'Italie, et la domination romaine devient impossible.

VI. Quant aux fortifications naturelles de Rome, est-il un homme assez indifférent pour ne pas en avoir dans l'esprit une image nette et bien dessinée? La sage prévoyance de Romulus et des autres rois y a joint un mur d'enceinte qui vient se rattacher de toutes parts à des collines escarpées, rend inaccessible le passage qui s'ouvrait entre l'Esquilin et le Quirinal et que défend aujourd'hui un énorme rempart ceint d'un vaste fossé, et fait de notre citadelle entourée de précipices, protégée par ses rocs taillés à pic, une forteresse tellement inexpugnable, que toute cette effroyable tempête de l'invasion gauloise vint mourir à ses pieds. Romulus choisit d'ailleurs un lieu rempli de sources vives, et d'une salubrité remarquable au milieu d'une contrée malsaine. Les collines qui le protégent appellent et renouvellent l'air, et couvrent les vallées de leur ombre.

VII. Romulus sut promptement juger tous les avantages de cette position; il y bâtit une ville qu'il appela Rome, de son nom; et, pour affermir cette cité nouvelle, il concut et mit à exécution un dessein étrange et d'une hardiesse un peu sauvage, mais qui décèle le coup d'œil