Page:Cicéron - Œuvres complètes Nisard 1864 tome 4.djvu/310

Cette page n’a pas encore été corrigée
300
CICÉRON.

fils des immortels ! Ils n’appellent ni maître ni seigneur celui qui leur a commandé avec tant de justice ; ils ne lui donnent pas même le nom de roi ; c’est la providence de la patrie, c’est un père, c’est un dieu. Et ces titres sont fondés ; écoutez ce que le peuple ajoute : C’est à toi que nous devons la vie. Ils pensaient donc, ces anciens Romains, que la vie, l’honneur et la gloire sont donnés au peuple par la justice du roi. Leur postérité aurait conservé les mêmes sentiments, si ce caractère sacré s’était toujours maintenu dans la personne des rois ; mais vous voyez que l’injuste domination d’un seul entraîna pour toujours la chute de la royauté. — Lélius. Je le vois, et il me tarde de connaître le cours de ces vicissitudes politiques, non seulement dans notre pays, mais dans toutes les sociétés possibles.

XLII. Scipion. Lorsque je vous aurai exposé mon sentiment sur la forme de gouvernement qui, de toutes, me paraît la meilleure, j’aurai à vous entretenir avec soin de ces grandes révolutions politiques ; quoique je pense qu’elles doivent difficilement se produire dans un État gouverné comme je l’entends. Quant au pouvoir royal, en voici la première et la plus infaillible altération : dès qu’un roi devient injuste, la royauté disparaît, et fait place à la tyrannie, le pire des gouvernements et qui tient de si près au meilleur. Lorsque la tyrannie est abattue par les grands, ce qui est assez l’usage, l’Etat prend alors la seconde des trois formes générales ; c’est un conseil aristocratique qui veille aux intérêts du peuple avec une sollicitude paternelle, et qui a par cet endroit quelque chose de royal. Si c’est le peuple lui-même qui a tué ou chassé un tyran, il garde assez de modération, tant que le bon sens l’inspire ; et comme il s’applaudit de ce qu’il a fait, il veut donner à l’Etat restauré par lui une certaine consistance. Mais si le peuple a porté une main violente sur un bon roi, ou, ce que l’on voit plus souvent, s’il a versé le sang des nobles, et soumis tout l’Etat à ses fureurs, il n’est point de tempête, point d’incendie, qui ne soient plus faciles à calmer que les emportements d’une multitude effrénée.

XLIII. Il arrive alors ce que Platon décrit avec des couleurs si vives, et que je voudrais exprimer d’après lui ; je ne sais si notre langue s’y prêtera ; du moins c’est un effort à tenter. « Lorsque, dit-il, le peuple est dévoré d’une soif intarissable d’indépendance, et que, servi par de perfides échansons, il a vidé jusqu’à la lie la coupe enivrante d’une liberté sans mélange ; alors ses magistrats et ses chefs, s’ils ne sont relàchés et débonnaires, deviennent l’objet d’attaques, de poursuites, d’accusations terribles ; il les appelle dominateurs, rois, tyrans. » Je pense que vous connaissez ce passage. — Lélius. Je le savais par cœur. — Scipion. Voyons la suite : « Ceux qui obéissent aux magistrats sont insultés par le peuple, qui les nomme des esclaves volontaires ; les magistrats, au contraire, qui affectent de descendre au niveau des simples citoyens, et les citoyens qui s’étudient à effacer toute différence entre eux et les magistrats, sont couverts de louanges et surchargés d’honneurs. Il faut nécessairement que dans une telle société la liberté afflue partout ; qu’au sein des familles toute au-