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TUSCULANES, LIV. III.

de ce qu’on a fait beaucoup de réflexions, par lesquelles on s’est persuadé que ce qu’on regardait comme un mal n’en est pas un réel.

XXXI. Une tristesse modérée a ses partisans. Si c’est un effet naturel, pourquoi chercher à l’adoucir ? Car la nature elle-même y mettra des bornes. Mais si c’est l’ouvrage de notre imagination, n’en laissons rien subsister. Or je crois avoir suffisamment montré que le chagrin est l’idée qu’on se fait d’un mal présent, et qui demande qu’on s’en afflige. Zénon ajoute avec raison, qu’il faut que cette idée soit récente. Ce qui néanmoins, selon ses disciples, ne doit pas être restreint au mal arrivé tout récemment ; car ils tiennent, quêtant qu’il conserve encore sa première pointe, et qu’il a, pour ainsi dire, je ne sais quoi de cru et de vert, on doit le regarder comme récent. Sur quoi ils citent la fameuse Artémise, veuve de Mausole, roi de Carie, à qui elle fit ériger dans Halicarnasse ce monument si célèbre. Elle passa dans le deuil le reste de ses jours, et mourut enfin accablée de douleur. Ainsi l’on pouvait dire que l’idée de son malheur, se renouvelant chaque jour, devait passer pour récente, au lieu qu’on ne saurait donner le même nom à celle que le temps a effacée. Quant aux devoirs du consolateur, ils consistent à chasser entièrement la tristesse, ou du moins à la soulager, à la diminuer le plus qu’il se peut, à en arrêter le progrès, ou à y faire quelque diversion. Vous avez des philosophes, au nombre desquels est Cléanthe, qui bornent les obligations du consolateur à enseigner que ce qu’on croit un mal n’en est pas un. D’autres, comme les Péripatéticiens, veulent qu’on s’applique à montrer seulement que ce n’est pas un grand mal. Épicure, à la place de ce qui nous chagrine, nous présente quelque idée agréable. Selon l’école de Cyrène, c’est assez de nous faire comprendre qu’il n’y a rien que de très-ordinaire dans ce qui est arrivé. Chrysippe regarde comme un point essentiel de nous guérir du préjugé qui met la tristesse, dans certains-cas, au rang des plus légitimes et des plus raisonnables devoirs de la vie. D’autres enfin rassemblent toutes ces manières de consoler, comme faisant des impressions différentes sur les différents esprits ; et c’est ainsi que j’en ai usé dans mon livre de la Consolation. Alors mon cœur était dans l’accès de la douleur, et je tentais tous les moyens de me guérir. Mais il faut savoir prendre son temps ; non moins pour la cure des âmes, que pour celle des corps. Ainsi, dans Eschyle, sur ce que quelqu’un dit à Prométhée :

Quel que soit le courroux, dont on est enflammé,
Par de sages conseils il peut être calmé ;


il répond :

Oui ; mais au fort du mal, qui veut en faire usage,
Loin d’éteindre le feu, l’allume davantage.

XXXII. Qui voudra donc faire l’office de consolateur, mettra en usage quelqu’un de ces trois moyens. Le premier, de faire voir à la personne qui est affligée, que ce qui lui est arrivé n’est point un mal, ou que c’en est un très-léger. Le second, de lui représenter la commune condition des hommes, et en particulier la sienne, s’il y a quelque chose qui le mérite. Le troisième, de lui faire sentir que c’est une folie de se consumer en regrets, puisqu’on en connaît l’inutilité. Un autre moyen, qui est proposé par Cléanthe, ne regarde que le sage, lequel n’a pas besoin de consolation. Car à quelqu’un qui souffre, lui persuader qu’on ne doit pas mettre au rang des

XXXI. Hic mihi affermit mediocritates : qnœ si naturales sunt, quid opns est consolatione ? natura enim ipsa terminabit modum. Sin opinabiles, opinio tota tollatur. Satis dictum esse arbilror, segritudinem esse opinionem raali pra^sentis : in qua opinione illud insit, ut aegritudinem suscipere oporleat. Additur ad banc definitionem a Zenone recte, ut illa opinio prœsenlis mali sit recens : boc autem verbum sic interpretatur, ut non tantum illud recens esse velit, quod paulo ante accident ; sed quamdiu in illo opinato malo vis qmxulam insit, et vigeat, et babeat quamdam viriditatem, tamdiu appelletur recens : ut Artemisia illa Mausoli Cariœ régis uxor, quœ nobile illud Haliearnassi fecit sepulcbrum : quam diu vixit, vixit in luctu, eodemque etiam confecta contabuit. Huic erat illa opinio quotidie recens : qnae tum denique non appellabatur recens, cum vetuslate exaruit. Hœc igitur officia sunt consolantium, tollere «Tgritudinem funditus, aut sedare, aut detraberequampbirimum,autsupprimere,necpati manare longius, aut ad alia mentem traducere. Sunt, qui unum officium consolantis pulent, docere maluni illud omnino non esse, ut Cleantbi placet. Sunt, qui non magnum malum, ut Peripatetici. Sunt, qui abducant a malis ad bona, ut Epicurus. Sunt, qui satis putent ostendere, nibil inopinati aocidisse, nibil novi. Cbnsippus autem caput esse censet in consolando, detrabere illam opinionem mœrenti, si se officio fungi putet justo, atque debito. Sunt etiam, qui luec omnia gênera consolandi colligunt : abus enim alio modo movetur ut fere nos omnia in Consolationem uiiam conjecimus : erat enim in tumore animus, et omnis in eo tentabatur curatio. Sed sumendum tempus est non minus in animorum morbis, quam in corporum : ut Prometheus ille Æschyli : cui cum dictum esset,

Atqui, Prometheu, te hoc tenere existimo,
Mederi posse rationem iracundiæ :


respondit,

Si quidem, qui tempestivam medicinam admovens,
Non ad gravescens vulnus iilidat manus.

XXXII. Erit igitur in consolationibus prima medicina, docere aut nul lum maluffi esse, aut admodum parvuni : altéra, et de coinmuni conditione ifee, et proprix-, si quid sit de ipsins, qui mœreat, disputandum : tertia, summam esse slultitiam frustra conlici mœrore,cum intelligas nibil posse profici. Xam Cleantbes quidem sapientem consolatur, qui consolatione non eget : nibil enim esse malum, quod turpe non sit, si lugenti persuaseris, non lu illi luctum, sed stultitiam detraxei is. Alienum autem tempus descendi. Et tamen non satis mihi videtur vidisse hoc Cleanthes,