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XXXIX. Lélius. Mais, je vous prie, qu’importe le gouvernement d’un seul ou de plusieurs, si ce dernier est juste ? — Scipion. Je vois que mes autorités n’ont pas produit grande impression sur vous : aussi suis-je bien résolu à ne plus invoquer, à l’appui de mon sentiment, que votre propre témoignage. — Lélius. Quel témoignage tirerez-vous de moi ? — Scipion. J’ai remarqué dernièrement, lorsque nous étions ensemble à Formies, que vous enjoigniez formellement à vos esclaves de ne prendre les ordres que d’un seul chef. — Lélius. Oui sans doute, de mon fermier. — Scipion. Et à Rome, vos affaires sont-elles dans les mains de plusieurs intendants ? — Lélius. Non, certes ; je n’en ai qu’un seul. — Scipion. Enfin le gouvernement général de toute votre maison, le partagez-vous avec quelqu’un ? — Lélius. Pas le moins du monde, j’espère. — Scipion. Que n’accordez-vous donc également que pour les sociétés l’empire d’un seul, lorsqu’il est équitable, est de tous le meilleur ? — Lélius. Je me sens entraîné, et je me rends presque à votre avis.

XL. Scipion. Vous vous y rendrez bien mieux encore, Lélius, si laissant de côté la comparaison du vaisseau, du malade, qu’il vaut mieux confier à un seul pilote ou à un seul médecin expérimenté, que de le remettre à la direction de plusieurs, j’arrive à des considérations d’un ordre plus relevé. —— Là. Quelles considérations ? — Scipion. Vous savez que c’est la cruauté et la domination superbe du seul Tarquin, qui a fait détester au peuple romain jusqu’au nom de roi ? — Là. Je le sais. — Scipion. Vous n’ignorez pas non plus qu’après avoir chassé Tarquin, le peuple, enivré de sa liberté nouvelle, s’emporta à des excès dont bientôt j’aurai à vous entretenir longuement. On vit alors des innocents exilés, un grand nombre de citoyens dépouillés, des magistrats annuels, les faisceaux inclinés devant le peuple, la multitude jugeant en dernier ressort, la fameuse retraite au mont Aventin ; enfin une longue suite de mouvements et d’actes qui devaient aboutir à la souveraineté absolue du peuple. — Lélius. C’est la vérité. — Scipion. Mais tout cela se passait en temps de paix et de sécurité. Lorsqu’on n’a rien à craindre, un peu de licence est bien permise, témoin les malades attaqués légèrement, et les passagers d’un vaisseau qui ne court point de danger ; mais quand la mer devient houleuse, quand la fièvre redouble, passagers et malades s’abandonnent à une main exercée. Ainsi le peuple de Rome, en paix et dans ses foyers, commande, menace ses magistrats, désobéit à leurs ordres, appelle de leur décision, les traduit devant son tribunal ; en temps de guerre, on pourrait croire qu’il obéit à un roi ; car l’intérêt du salut parle plus haut que la passion de l’indépendance. Bien mieux, dans les guerres importantes, nos ancêtres ont voulu que toute l’autorité fût réunie dans les mains d’un seul homme, dont le titre même indique l’extrême puissance. On le nomme dictateur, parce qu’un consul le proclame ( « quia dicitur » ) ; mais dans nos livres vous voyez, Lélius, qu’il est appelé le maître du peuple. —Là. C’est très vrai. — Scipion. Reconnaissons la sagesse de ces anciens… (LACUNE).

XLI Lorsqu’un peuple a perdu un bon roi, alors, comme le dit Ennius en parlant de la mort d’un prince excellent, « les cœurs de fer sont émus jusqu’aux larmes ; de tous côtés on entend ces cris de deuil : O Romulus, divin Romulus, père de la patrie, que le ciel nous avait donné ! ô notre ami, notre dieu tutélaire, digne