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CICÉRON.

sagesse qui apprend à se gouverner soi-même et à conduire les autres, ne sont plus qu’une honteuse et insolente vanité ; et il n’est pas au monde de plus triste spectacle que celui d’une société où l’on estime les hommes en proportion de leur fortune. Mais aussi que peut-on comparer à une république gouvernée par la vertu, alors que celui qui commande aux autres n’obéit lui-même à aucune passion ; alors qu’il ne donne à ses concitoyens aucun précepte dont l’exemple ne reluise en sa personne ; qu’il n’impose au peuple aucune loi dont il ne soit l’observateur le plus fidèle ; et que sa conduite entière peut être proposée comme une loi vivante à la société qu’il dirige ? Si un seul homme pouvait satisfaire à tout à la fois, le concours de plusieurs deviendrait inutile ; si tout un peuple pouvait voir le bien et le poursuivre d’un commun accord, on n’aurait pas besoin de faire choix de quelques chefs. La difficulté de former un sage conseil a fait passer le pouvoir du roi aux grands ; les errements et la témérité des peuples l’ont transporté des mains de la foule dans celles du petit nombre. Ainsi, entre l’impuissance d’un seul et l’aveuglement de la multitude, l’aristocratie tient le milieu, et présente par sa position même les garanties de la plus parfaite modération. Sous son gouvernement tutélaire les peuples doivent être le plus heureux possible, vivre sans inquiétude ni tourments, puisqu’ils ont confié leur repos à des protecteurs dont le premier devoir est la vigilance, et dont la préoccupation constante est de ne point donner au peuple l’idée que les grands négligent ses intérêts. Quant à l’égalité absolue des droits, que poursuivent les peuples libres, elle n’est jamais qu’une utopie ; les nations les plus jalouses de leur liberté et les plus impatientes de tout frein accordent cependant une foule de distinctions, et savent parfaitement classer les hommes et faire acception du mérite. D’ailleurs cette égalité absolue serait le comble de l’iniquité. Essayez de mettre sur la même ligne les grands hommes et cette lie du peuple qui se trouve nécessairement partout, et vous reconnaîtrez que c’est par esprit d’équité commettre l’iniquité la plus révoltante. Dans les gouvernements aristocratiques, une pareille absurdité ne sera jamais à craindre. Voilà, Lélius, à peu près du moins, ce que disent les partisans et les admirateurs de l’aristocratie.

XXXV. Laelius. Mais vous, Scipion, lequel de ces trois gouvernements préférez-vous ? — Scipion. Vous avez raison de me demander lequel je préfère, car je n’approuve aucun des trois séparément, et je mets fort au-dessus de chacun d’eux celui qui les réunit tous. Mais s’il fallait en choisir un exclusivement, je me prononcerais pour le gouvernement royal. Il semble que le titre de roi a quelque chose de paternel ; il nous montre un chef de famille qui veille sur ses sujets comme sur ses propres enfants, qui protège son peuple avec amour, bien loin de le réduire en esclavage ; c’est un homme excellent et tout-puissant qui soutient et guide les petits et les faibles : est-il rien de plus raisonnable ? Mais voici les grands qui réclament pour eux l’honneur de mieux accomplir cet ouvrage, et qui nous disent qu’il y a plus de lumières dans une assemblée que dans un seul homme, et tout autant d’équité et de bonne foi. Enfin voici le peuple qui nous crie, de toutes ses forces, qu’il ne veut obéir ni à un seul ni à plusieurs ; que pour les animaux eux-mêmes rien n’est plus doux que la liberté, et qu’elle périt sous l’empire d’un roi comme sous la domination