Page:Cicéron - Œuvres complètes Nisard 1864 tome 4.djvu/305

Cette page n’a pas encore été corrigée

laire qui a en haine des déréglements d’un peuple ; qu’il n’y a rien de plus fort et de plus inébranlable qu’une république où règne la concorde, et où l’on ne connaît d’autre ambition que de maintenir la liberté de l’Etat, et de veiller à son salut ; qu’enfin la concorde est très facile dans une société dont tous les membres ont le même intérêt, tandis que c’est la diversité d’intérêts qui partout donne naissance à la discorde. Aussi, à les entendre, jamais gouvernement aristocratique n’a offert de stabilité ; encore bien moins en trouverait-on dans l’état monarchique, qui ne connaît ni foi ni loi, comme le dit Ennius. Puisque la loi est le lien de la société civile, et que le droit donné par la loi est le même pour tous, il n’y a plus de droits ni de règles dans une société dont les membres ne sont pas égaux. Si l’on ne veut point admettre l’égalité des fortunes, s’il faut avouer que celle des esprits est impossible, au moins doit-on établir l’égalité des droits entre tous les citoyens d’une même république. Qu’est-ce en effet qu’une société, si ce n’est la participation à de certains droits communs ? (LACUNE).

XXXIII. Ces politiques vont jusqu’à refuser aux autres formes de gouvernement le nom dont elles veulent être appelées. Pourquoi donner le titre de roi, ce beau nom du monarque des cieux, à un homme avide de dominer et de commander seul à un peuple qu’il opprime ? Le nom de tyran ne lui convient-il pas mieux ? La tyrannie peut être douce, et la royauté insupportable ; ce qui importe à des sujets, c’est de porter un joug commode, et non pas cruel : mais qu’ils ne soient pas sous le joug, c’est là ce qui ne se peut faire. Comment Lacédémone, à l’époque même où sa constitution politique passait pour uù chef-d’œuvre, pouvait-elle avoir la certitude d’être gouvernée toujours par des rois bons et justes, quand il fallait qu’elle reçût invariablement pour maître le rejeton d’une souche royale ? Quant à l’aristocratie, comment souffrir ces princes de l’Etat, qui ne tiennent pas du suffrage public, mais qui se décernent à eux-mêmes ce titre magnifique ? Où ont-ils fait leurs preuves ces hommes qui s’arrogent la suprématie de la science, du talent, de la vertu ? (LACUNE)

XXXIV. Si une société choisit au hasard ceux qui la doivent conduire, elle périra aussi promptement qu’un vaisseau dirigé par un des passagers que le sort aurait appelé au gouvernail. Un peuple libre choisira ceux à qui il veut se confier, et s’il pense à ses vrais intérêts, il fera choix des meilleurs citoyens ; car c’est de leurs conseils, on n’en peut douter, que dépend le salut des États ; et la nature, tout en destinant les hommes qui ont le plus de caractère et de noblesse à conduire les faibles, a inspiré en même temps à la foule le besoin de voir à sa tête les hommes supérieurs. Mais on prétend que cette forme excellente de gouvernement est décréditée par les faux jugements du vulgaire, qui ne sachant discerner le vrai mérite, aussi rare peut-être à découvrir qu’à posséder, prend pour les premiers des hommes ceux qui ont de la fortune, de la puissance, ou qui portent un nom illustre. Une fois que cette erreur du peuple a donné à la puissance le rang que devait seule avoir la vertu, ces chefs de faux aloi gardent obstinément le nom d’aristocrates, qui ne leur convient en aucune façon. Car les richesses, l’éclat du nom, la puissance, sans la