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CICÉRON.

XXIX. De l’anarchie sort le pouvoir des grands, ou une olygarchie factieuse, ou la royauté, ou très souvent même un état populaire ; celui-ci, à son tour, donne naissance à quelques-uns de ceux que j’ai déjà nommés ; et c’est ainsi que les sociétés semblent tourner dans un cercle fatal de changements et de vicissitudes. Le sage médite sur ces révolutions ; mais l’homme qui a le don de prévoir les orages dont est menacé son pays, la force de lutter contre le torrent qui entraîne chefs et peuples, la puissance de l’arrêter ou d’en modérer le cours, celui-là est un grand citoyen, et j’oserais presque dire un demi-dieu. C’est ce qui me porte à regarder comme la meilleure forme de gouvernement cette forme mixte qui est composée des trois premières, se tempérant l’une l’autre.

XXX. Lélius. Je sais que c’est là votre sentiment arrêté, Scipion, car je vous l’ai entendu exprimer plus d’une fois ; mais cependant, si ce n’est pas trop exiger, je voudrais apprendre de vous auquel de ces trois modes de gouvernement vous donnez la préférence. Je crois qu’il ne serait pas sans utilité… (LACUNE).

XXXI. Scipion… telle est la nature et la volonté du souverain, telle est invariablement la société qu’il régit. Aussi n’y a-t-il que les États où le peuple a le pouvoir suprême qui puissent admettre la liberté ; la liberté, le plus doux de tous les biens, et qui n’existe pas sans une égalité parfaite. Et comment serait-il possible de trouver cette égalité, je ne dis pas dans une monarchie où la servitude est manifeste et avouée, mais dans ces États où les citoyens ont toutes les apparences de la liberté ? Ils donnent leurs suffrages, ils font des généraux, des magistrats ; on les sollicite, on brigue leurs faveurs ; mais ces faveurs, il faut bien qu’ils les accordent, bon gré mal gré ; ce qu’ils prodiguent ainsi ne leur appartient jamais ; car ils sont exclus du commandement des armées, des conseils de l’État, du jugement de toutes les causes importantes, et les hautes fonctions sont le privilége exclusif de la noblesse ou de la fortune. Chez un peuple libre, au contraire, comme à Rhodes, à Athènes, il n’est pas un seul citoyen qui… (LACUNE).

XXXII. Qu’au milieu d’une nation il s’élève un ou plusieurs hommes riches et opulents, bientôt, disent les partisans de la démocratie, leur orgueil et leur dédain font naître des priviléges que reconnaît la foule des taches et des faibles, pliant sous l’arrogance des riches. Les mêmes politiques ajoutent qu’on ne peut rien imaginer de plus libre, de plus heureux, de plus excellent qu’un État où le peuple a conservé tous ses droits, parce qu’alors il est l’arbitre souverain des lois, des jugements, de la paix, de la guerre, des alliances, de la vie et de la fortune de chacun ; voilà, disent-ils, le seul gouvernement qui mérite le nom de république, c’est-à-dire de chose du peuple. Aussi voit-on d’ordinaire le peuple chercher à s’affranchir du pouvoir des rois ou des patriciens, tandis qu’il est sans exemple qu’un peuple libre ait recouru à la royauté ou à la domination protectrice des grands. Ils prétendent que l’on serait fort injuste de condamner sans retour la cause popu-