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CICÉRON.

le chagrin est quelque chose de naturel, à quoi, de l’avis même de Crantor l’un de vos maîtres, il faut céder. En vain résisterait-on. C’est ainsi que dans Sophocle, ce même Oïlée, qui venait de consoler Télamon sur la perte d’Ajax son fils, ne put pas tenir à la nouvelle de la mort du sien, révolution qui a donné lieu à cette réflexion du poëte :

Tel ose en son ami blâmer l’excès des pleurs,
Qui, tombant à son tour dans de pareils malheurs,
Se livre sans mesure à sa douleur extrême,
Et résiste aux leçons qu’il enseigna lui-même.


De là nos adversaires concluent, que c’est temps perdu de se roidir contre les mouvements de la nature, quoiqu’ils avouent (pie dans le chagrin on va souvent plus loin que la nature ne le demande. Quelle est donc cette folie, ajoutent-Us, d’exiger des autres un effort dont nous ne sommes pas capables ? Plusieurs raisons peuvent faire qu’on se livre à la douleur. Premièrement, de regarder comme un mal pour nous ce qui nous est arrivé. Ensuite, de nous imaginer que si nous pleurons amèrement la mort de quelqu’un, il nous en sait gré. Joignez à cela je ne sais quelle superstition de femme, en ce qu’on croit se faire un mérite envers les Dieux, de se reconnaître humilié et abattu sous le poids de leurs coups. Or la plupart des gens ne voient pas combien ces idées renferment de contradiction. Car ils louent ceux qui meurent avec fermeté, et ils blâment ceux qui se montrent fermes a la mort des autres. Comme s’il en fallait croire le langage ordinaire des amants, (mon aime autrui plus que soi-même. il est vraiment beau, juste, et convenable, que les personnes qui doivent nous être chères, nous les aimions autant que nous nous aimons. Mais l’amitié doit en rester là : à moins qu’on ne veuille confondre tous les devoirs, et renverser l’ordre.

XXX. C’est un point, que je traiterai ailleurs. Ici c’est assez qu’on sache qu’il ne faut point se rendre misérable pour la perte de ses amis, et que les aimer plus que soi-même, c’est faire ce qu’eux ils n’approuveraient pas, s’il leur restait quelque sentiment. À l’égard de ce qu’on objecte, (pie peu de gens sont soulagés par des discours de consolation, et que les consolateurs eux-mêmes ne sont pas moins sensibles, quand ils éprouvent à leur tour les outrages de la fortune, il est aisé de répondre que ce n’est point la faute de la nature, mais la nôtre. Qu’on s’en prenne à la folie des hommes ; le champ est vaste. Ceux qui refusent de se prêtera des motifs de consolation, invitent, pour ainsi dire, le malheur à ne les point abandonner : et ceux qui supportent une disgrâce autrement qu’ils ne le conseillent aux autres, tombent dans le vice ordinaire aux avares et aux ambitieux, qui déclament contre leurs pareils. Ainsi le propre de la folie est de voir les défauts d’autrui, et d’oublier les siens. Tout le monde sait par expérience, qu’il n’y a point de chagrin qui ne se dissipe avec le temps ; et que ce qui nous guérit, ce n’est pas le temps, ce sont les réflexions qu’il nous a donné lieu de faire. Une personne qui a eu du chagrin, est toujours la même : le sujet qui a causé son chagrin, est toujours le même : comment son chagrin n’est-il donc pas toujours le même ? Qu’il ait cessé enfin, cela ne vient pas de ce qu’il s’est écoulé beaucoup de temps, cela vient

Crantor, inqniunt, vester cedendum putat. Promit enim, atque instat, nec resisti potest. itaque Oileus ille apud Sophoclem, qui Telamonem antea de Ajacis morte consolatus esset, is eum audisset de suo, fractus est, de cujus commutata mente sic dicitur :

Nec vero tanta præditus sapientia
Quisquam est, qui aliorum ærumnam dictis allevans,
Non idem, cum fortuna mutata impetum
Convertat, clade ut subita frangatur sua,
Utilla ad alios dicta et præcepta excidant.


Hæc cum disputant, hoc student efficere naturæ obsisti nullo modo posse. li tamen fetentur graviores aegritudines suscipi, quam natura cogat. Quæ est igitur amentia, ut idem ab alii» requiramus ? Sed plures sunl ir-ndi doloris. Primum illa opinio mali, qno gritudo insequitur neceasario. Deinde etiam gratum moriuis se facere, si graviter eoa logeant, arbitrantur. Accedit snperstitio muliebris qnaedam ; exisnûn dus immortal tdlins Balisfacturos, -i ;, aiTlictos se et Btratos esse fateantur. Sed bac înli répugnent, plerique non vi-’. . Laudant en ..i a ?quo ammo moriantnr : qui atterras mortem bbouo aoîmo ferant, eos putanl ituperandos. Qua’i fiei i ullo m | . quoi ! in amatorio sermonedir i solet, ut quisquam plus alternm diligat, quam le Praclarura Ulud est, ? ?, si quam, rectum quoque, < t verum, ni eus, qui nobis carissimi esse debeant, seque ac nosmelipsos amemus : ut vero plus, ûeri nullo pacfo polest. Ne optandum quidem est in amicilia, ut 1110 ille plus quam semet, ego illum plus quam me. Perturbatio vitae, si ita sit, alque officiorum omnium consequatur.

XXX. Sed de hoc alias : nunc illud satis est, non attribuere ad amissionem amicorum miseriara nostram, ne illos plus, quam ipsivelint, si sentiant, plus ceite quam nosmetipsos diligamus. Nam quod aîunt, plerosque cou-Bolationibus nihil levari,adjunguntque consolatores ipsos confiteri se miseras, cum ad eos impetum suum fortuna converterit, utrumqne dissolvitur. Sunt enim ista non natnrae vilia, sed culpae : stultitiam autem accusare quamvis copiose licet. Nam el qui non levantur, ipsi ad se miseiiain invitant : et qui suoscasus aliter ferunt,atque utaliis a ne. tores ipsi fuerunt, non sunt vitiosiores, quam 1ère plerique, qui avari avaros, gloriae cupidos gloriosi reprehendunt : est eniin proprium stultitiœ aliorum vilia ceroere, oblivisci snorum. Sed nimirum hoc maximum est experimeutum, cum constet Rgriludiucm vetustale tolli,hanc vim nui iii die [tositam, sed in cogitaliOBe diuturna. Nain si cl eadem res est, et idem est liomo : qui polest quidquam de dolore mutari, si neque de eo, piopter quod dolet, quidquam est mutatum, neque de eo, qui dolet ? Cogitatio igitui diuturna nibil esse in re mali, dolori medetur, non ipsa diuturnitas.