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s’écria-t-il, je vois ici des vestiges humains ! » Et à quoi les reconnaissait-il ? Ce n’était certainement pas à la culture de la terre, mais aux traces d’une meilleure culture, celle de l’esprit. Voilà pourquoi, Tubéron, j’ai toujours eu tant de goût pour la science et les savants, et en particulier pour vos études favorites.

XVIII. Lélius adressant alors la parole à Scipion:Je n’oserais rien objecter à ce que vous venez de dire ; et c’est beaucoup moins vous, ou Philus, ou Manilius… (LACUNE) Nous avons eu dans la famille de Tubéron un ami bien digne de lui servir de modèle, « Elius Sextus, cet homme de tant de sens et de finesse »; fin et sensé vraiment, et bien nommé par Ennius, non qu’il se creusât l’esprit à chercher ce qu’on ne peut découvrir, mais parce qu’il donnait à ceux qui l’interrogeaient des réponses qui leur soulageaient l’esprit et les tiraient d’affaire. Il livrait à l’astronomie de Gallus de rudes combats, et il avait toujours à la bouche ces vers d’Achille dans Iphigénie:« Tous ces astronomes étudient les mouvements de leurs constellations ; c’est Jupiter, c’est la Chèvre, c’est le Scorpion et je ne sais quelle autre bête dont ils veulent voir surgir les cornes ; ils ne voient point ce qui est à leurs pieds, et ils veulent lire dans les cieux. » Élius, que j’écoutais souvent et avec grand plaisir, disait encore que le Zéthus de Pacuvius lui paraissait trop ennemi de la science ; il goûtait davantage le Néoptolème d’Ennius, qui veut bien philosopher, mais doucement, car trop ne lui saurait plaire. Si cependant les études des Grecs ont tant de charmes pour vous, il en est de moins abstraites qui conviennent à un plus grand nombre d’esprits, et qui ont au moins une utilité pratique, soit pour notre conduite morale, soit pour le gouvernement des États. Quant aux sciences dont nous parlions, si elles sont bonnes à quelque chose, ce ne peut être qu’à exercer et aiguiser un peu l’esprit des jeunes gens, pour les rendre capables de travaux plus sérieux.

XIX. Tubéron. Je partage votre sentiment, Lélius; mais ces études plus sérieuses, quelles sont-elles dans votre pensée ? — Lélius:Je vais vous le dire; mais je crains fort de m’exposer à vos dédains, car c’est vous, je me le rappelle, qui avez proposé à Scipion cette question sur un phénomène céleste, tandis que dans mon opinion il est bien plus important de nous occuper de ce qui est devant nos yeux. Eh quoi ! le petit-fils de Paul-Émile, le neveu de Scipion l’Africain, le membre d’une si noble famille, le citoyen d’une si grande république, demande pourquoi l’on a vu deux soleils, et ne demande pas pourquoi nous voyons aujourd’hui dans un seul État deux sénats et presque deux peuples ? Vous en êtes témoins comme moi, la mort de Tibérius Gracchus, et auparavant tous les actes de son tribunat, ont divisé le peuple romain en deux camps : les détracteurs et les envieux de Scipion, enrôlés d’abord sous la bannière de P. Crassus et d’Appius Claudius, n’en continuent pas moins, après la mort de ces deux chefs, à entretenir l’hostilité d’une partie du sénat contre nous, Metellus et Mucius en tête ; les alliés se remuent, les Latins se soulèvent ; on viole les traités ; des triumvirs