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pas, Scipion, que malgré le sentiment que vous exprimiez tout à l’heure… (LACUNE) Scipion… Mais qu’est-ce que tout l’éclat des choses humaines, comparé aux magnificences de ce royaume des Dieux ? qu’est-ce que leur durée au prix de l’éternité ? Et la gloire, qu’est-elle pour celui qui a vu combien la terre est petite, et encore quelle faible portion de sa surface est habitée par les hommes ; qui a su comprendre la vanité de ces pauvres humains, perdus dans un imperceptible canton du monde, à tout jamais inconnus à des peuples entiers, et qui croient que l’univers va retentir du bruit de leur nom ? Qu’est-ce que tous les biens de cette vie, pour celui qui ne consent pas même à regarder comme biens, ni champs, ni maisons, ni troupeaux, ni trésors, parce qu’il en trouve la jouissance médiocre, l’usage fort restreint, la possession incertaine, et que souvent les derniers hommes ont toutes ces richesses à profusion ? Qui peut se dire véritablement heureux en ce monde ? n’est-ce pas celui qui seul peut se reconnaître le maître souverain de toutes choses, non pas en vertu du droit civil, mais au nom du beau privilége des sages ; non par un contrat tout couvert de formules, mais par la loi de nature, qui n’admet pour possesseurs des choses que ceux qui savent s’en servir ? celui qui voit dans le commandement des armées, dans le consulat lui-même, des charges à accepter par patriotisme, et non des titres à ambitionner, de graves obligations à remplir, et non des honneurs ou de brillants avantages à poursuivre ; qui peut enfin comme Scipion mon aïeul, au rapport de Caton, se rendre ce témoignage, qu’il n’est jamais plus actif que lorsqu’il ne fait rien, et jamais moins seul que dans la solitude ? Qui pourrait croire en effet que Denys, détruisant par ses menées infatigables la liberté de sa patrie, accomplissait une plus grande œuvre qu’Archimède son concitoyen, inventant dans son apparente inaction cette sphère dont nous parlions tout à l’heure ? L’homme qui, au milieu de la foule, et en plein forum, ne trouve personne avec qui il lui soit agréable d’échanger ses pensées, n’est-il pas plus seul que celui qui, sans témoin, s’entretient avec lui-même, ou, se transportant dans la société des sages, converse avec eux, étudie avec délices leurs découvertes et leurs écrits ? Pouvez-vous imaginer un mortel plus riche que celui à qui rien ne manque de ce que la nature réclame ; plus puissant que celui qui vient à bout de tout ce qu’il désire ; plus heureux que celui dont l’âme n’est agitée par aucun trouble ; ou possédant une fortune plus solide que celui qui pourrait, suivant le proverbe, retirer avec lui tous ses trésors du naufrage ? Est-il un commandement, une magistrature, une couronne comparable à la grandeur de l’homme qui regardant de haut toutes les choses humaines, et n’accordant de prix qu’à la sagesse, n’entretient sa pensée que d’objets éternels et divins ? Il sait de science certaine que si rien n’est plus commun que le nom d’homme, ceux-là seuls devraient le porter qui ont reçu cette culture sans laquelle il n’est point d’homme. Et, à ce propos, il me revient un mot fort heureux de Platon, ou peut-être de quelque autre philosophe. La tempête l’avait jeté sur une plage inconnue et déserte ; tandis que ses compagnons d’infortune étaient effrayés de ne pas savoir en quel lieu ils se trouvaient, il aperçut, dit-on, des figures de géométrie tracées sur le sable : "Bon courage,