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grâce avait eu un dénoûment moins heureux, de quoi pourrais-je me plaindre ? J’avais tout prévu, et je n’attendais pas moins pour prix de mes services. Quelle avait été ma conduite ? La vie privée m’offrait plus de charmes qu’à tout autre, car je cultivais depuis mon enfance les études libérales, si variées, si délicieuses pour l’esprit : qu’une grande calamité vînt à nous frapper tous, du moins ne m’eût-elle pas plus particulièrement atteint, le sort commun eût été mon partage : eh bien ! je n’avais pas hésité à affronter les plus terribles tempêtes, et, si je l’ose dire, la foudre elle-même, pour sauver mes concitoyens, et à dévouer ma tête pour le repos et la liberté de mon pays. Car notre patrie ne nous a point donné les trésors de la vie et de l’éducation pour ne point en attendre un jour les fruits, pour servir sans retour nos propres intérêts, protéger notre repos et abriter nos paisibles puissances ; mais pour avoir un titre sacré sur toutes les meilleures facultés de notre âme, de notre esprit, de notre raison, les employer à la servir elle-même, et ne nous en abandonner l’usage qu’après en avoir tiré tout le parti que ses besoins réclament.

V. Ceux qui veulent jouir sans discussion d’un repos inaltérable recourent à des excuses qui ne méritent pas d’être écoutées : Le plus souvent, disent-ils, les affaires publiques sont envahies par des hommes indignes, à la société desquels il serait honteux de se trouver mêlé, avec qui il serait triste et dangereux de lutter, surtout quand les passions populaires sont en jeu ; c’est donc une folie que de vouloir gouverner les hommes, puisqu’on ne peut dompter les emportements aveugles et terribles de la multitude ; c’est se dégrader que de descendre dans l’arène avec des adversaires sortis de la fange, qui n’ont pour toutes armes que les injures, et tout cet arsenal d’outrages qu’un sage ne doit pas supporter. Comme si les hommes de bien, ceux qui ont un beau caractère et un grand cœur pouvaient jamais ambitionner le pouvoir dans un but plus légitime que celui de secouer le joug des méchants, et ne point souffrir qu’ils mettent en pièces la république, qu’un jour les honnêtes gens voudraient enfin, mais vainement, relever de ses ruines.

VI. Ils nous accordent une exception, il est vrai, mais qui ne peut faire passer leur système ; le sage ne doit, selon eux, se mêler d’affaires publiques que s’il y est contraint par la nécessité et dans des circonstances éminemment critiques. Y eut-il jamais, je le demande, de circonstances plus critiques que celles où je me trouvai moi-même ? et dans ces circonstances qu’aurais-je pu faire, si je n’avais été consul ? et le titre de consul, comment aurais-je pu l’obtenir, si je ne m’étais dès mon enfance avancé dans cette carrière qui m’a conduit par degrés, moi obscur chevalier romain, à cet honneur suprême ? Vous ne pouvez donc venir au secours de votre patrie, quand vous le souhaitez, dans une circonstance critique, dans un danger pressant, si vous n’êtes déjà en position de la servir. Ce que j’admire surtout dans les écrits de ces philosophes, c’est que des hommes qui sur une mer calme ne croiraient pas pouvoir servir de pilotes, parce qu’ils n’ont pas appris l’art de tenir le gouvernail, déclarent qu’ils sont tout prêts à conduire un vaisseau au milieu des tempêtes. Ils disent fort ouvertement qu’ils n’ont jamais appris et qu’ils