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Enûn,dans le sixième, il s’élevait, selon toute vraisemblance, des lois et des institutions humaines, à la religion, au culte, à l’influence salutaire de la crainte des Dieux et de la croyance à une autre vie. Le seul fragment important que nous ayons de ce livre est le songe de Scipion; nous ne le devons point au palimpseste de Rome; Macrobe l’avait commenté, et, ce qui valait mieux, reproduit; et l’ouvrage de Macrobe s’est conservé. Les copies du songe de Scipion n’ont jamais été rares, et il est peu de pages détachées des ouvrages anciens dont on ait plus parlé que de celles-ci.

Scipion raconte à ses amis que, pendant son premier séjour en Afrique, recevant l’hospitalité sous le toit du vieux Massinissa , il vit en songe l’Africain son aïeul lui apparaître, et l’enlever en esprit dans les demeures célestes. L’univers entier se dévoila à ses yeux; il entendit l’harmonie des sphères, et vit partout un ordre merveilleux et la main de Dieu sur le monde. Le vainqueur d’Annibal lui apprit à mépriser la terre, ce globe misérable perdu dans l’infinie grandeur des cieux ; à élever sa pensée vers les biens impérissables, à ne chercher d’autre gloire que celle de la vertu et de l’immortalité. Au milieu de ces sublimes idées , qu’on croirait inspirées par le christianisme, on regrette de trouver une dé- monstration subtile de l’éternité de l’âme, et une copie d’un passage de Platon , déjà reproduit dans les Tusculanes, et où le génie de Cicéron ne se re- connaîtra jamais. M. Villemain a dit avec beaucoup de goût : « Le songe de Scipion est un exemple de ce que la raison et l’enthousiasme peuvent faire pour s’élever à l’éternelle vérité, et de ce qui leur manque toujours pour y parvenir : c’est un monu- ment précieux , tout à la fois parce qu’il est sublime, et parce qu’il est insuffisant. Quelle que soit en effet l’élévation et l’éloquence de ce morceau, il semble que la simplicité de la grande vérité qu’il renferme est souvent altérée par les raisonnements d’une philosophie argutieuseet subtile. Que d’efforts, que d’expressions scolastiques pour prouver que l’âme est immortelle, parce qu’elle a son mouvement en elle-même! Les descriptions du monde céleste, le bruit harmonieux des sphères, et toute cette théur- gie pythagoricienne dont Cicéron fait un grand usage , forment aussi un bien petit spectacle à côté de l’immensité réelle de l’univers. Mais l’épisode entier n’en conserve pas moins une vraie magnifi- cence de pensées et d’expressions. » Ce qui nous reste de la République suffit pour que nous puissions, en connaissance de cause, confir- mer l’opinion , généralement accréditée dans les temps anciens, que c’était là l’ouvrage le plus par- fait de Cicéron. Ce traité de politique l’emporte de beaucoup sur les autres écrits philosophiques de notre auteur. Ici ce n’est point un disciple de la Grèce expliquant en beaux termes des systèmes que l’esprit romain n’aurait jamais conçus : c’est le plus fin et le plus vaste génie de Rome parlant de la constitution et de la force des États au milieu de la plus grande république du monde, et trouvant sans effort, dans son expérience et sa pensée, des vérités que la Grèce n’avait pas connues, ou qu’elle n’avait pu saisir avec cette haute simplicité et ce bon sens parfait, si nécessaires à qui entreprend de ju"erles affaires. On voit que, dans la composition*^ la République, Cicéron est à l’aise; il a naturelle- ment l’élévation d’un philosophe et le tact d’un grand homme d’État; il sait comprendre les hom- mes; il méprise autant les abstractions sonores que les esprits chimériques dédaignent la réalité; il a reçu de la nature cet heureux mélange de raison et de sagesse pratique, ce tempérament d’esprit si rare et qui n’exclut point la noblesse, enfin toutes ces qualités précieuses qui valent mieux que la su- blimité d’un génie en divorce avec le monde, et qui forment seules le moraliste et le politique. Le traité de la République a été publié pour la première fois en France en 1823. M. Villemain en a donné à la fois le texte et la traduction. Il a joint à cette traduction un discours préliminaire qui est à lui seul un ouvrage très-intéressant, et l’un des meilleurs écrits sur la politique ancienne. II a essayé, dans des dissertations ingénieuses et pleines d’érudition et dégoût, de suppléer aux lacunes du manuscrit de Rome, et de nous tracer une esquisse des cinquième et sixième livres, qui de tous eussent été les plus curieux pour les lecteurs modernes. Quelques années après, M. Le Clerc a donné de la République une traduction nouvelle dans son édition complète des œuvres de Cicéron. Après de tels maî- tres, qu’est-il permis de faire, si ce n’est de les pren- dre pour guides ? C’est à eux, et aux notes excellen- tes de M. Angelo Mai’, que nous devons tout ce qui n’est pas trop imparfait dans notre humble copie d’un si grand modèle.


TRAITÉ DE LA RÉPUBLIQUE.

LIVRE PREMIER.

I… Sans cette vertu, C. Duellius, Aulus Atilius, L. Métellus n’auraient point délivré Rome de la terreur de Carthage ; les deux Scipions n’auraient point éteint dans leur sang l’incendie de la seconde guerre Punique, qui jetait ses premières flammes. Quand il éclata de nouveau plus menaçant et plus vif, ce fléau n’eût pas été victorieusement combattu par Q. Maximus, étouffé par M. Marcellus ; et des portes de Rome qu’il