Page:Cicéron - Œuvres complètes Nisard 1864 tome 4.djvu/288

Cette page n’a pas encore été corrigée

PRËFACK. 278 bien plus vif de la réalité, et un bon sens pratique qui perce jusque dans cette métaphysique politique. Cicéron, qui ven ! au moins imiter l’art de Platon, s’il repousse ses conceptions chimériques, n’entre pas en matière dès le début du dialogue, il fait d’a- bord porter la conversation îles hôtes de Sri pion sur un phénomène astronomique, et met en scène la sphère d’Archimède, la science de Gallus, Thaïes, Anaxagore, et les armes que la science naissante avait déjà données au bon sens contre la supersti- tion. 1 /entretien est ramené a son véritable sujet par une observation de Létius, qui demande s’il est bien convenable de se promener en esprit parmi les sphères célestes et d’admirer stérilement l’ordre des régions éthérées, quand de toutes parts le désordre s’introduit dans Rome, menace d’ébranler l’empire et d’en compromettre la destinée. Il n’est d’autre moyen de venir en aide à la patrie ainsi travaillée, que de remonter à la source de la bonne direction des États, aux principes de la science politique. Seipion est prie d’exposer à ses amis selon quelles règles il pense que les sociétés doivent être gouver- nées. Ici commence le développement des idées de Cicéron, dont il est plus facile peut-être de montrer l’enchaînement que de comprendre le vrai mérite. Seipion parle d’abord des trois formes de cons- titution qui ont été remarquées, expliquées et ap- préciées par tous les écrivains politiques. Il en si- gnale les avantages et les inconvénients, et tout en préférant la royauté à l’aristocratie et surtout à la démocratie , il déclare que , dans sa pensée , la meil- leure constitution pour un peuple est celle qui est , (| s trois formes simples, tempérées les unes par les autres, et formant dans leur réunion un juste équilibre qui maintient dans l’État assez de majesté, assez de lumières et assez de liberté. Toute autre constitution est perpétuellement sur une pente dangereuse, voisine d’un abus, et, en con- séquence, d’une révolution. Il n’y a de stabilité que dans l’harmonie des diverses forces naturelles que présente une nation. Hors de cette condition par- faite, les sociétés sont soumises à des vicissitudes fatalement déterminées, qui les font passer de la licence à la tyrannie, et dont il est presque impos- sible d’arrêter le cours. Mais toutes ces considérations ont, pour des Ro- mains et même pour l’esprit le plus philosophique de Rome, le grand inconvénient d’être purement abstraites . de porter la penséedaus une région idéale dont on ne voit pas trop les relations avec la vie pratique, et de ne pas frapper au but que Lélius avait déterminé. Cicéron se hâte de prendre terre en quelque sorte, et de chercher parmi les sociétés humaines un modèle auquel il rapporte ses précep- tes, qui en contrôle la justesse, et lui fournisse cette expérience indispensable aux hons raisonnements sur la politique. Le modèle est bientôt rencontré ; Rome l’offrait et l’imposait. C’était , il faut l’avouer, une meilleure école que toutes celles où avaient pu s’instruire les [éditiques de la Grèce, et en présence de l’empire romain, on était moins exposé à mé- priser la realité et à construire des cités imaginaires, qu’à la vue de la mobilité et de l’abaissement d’A- thènes, ou de l’égoïsme étroit et des dures institu- tions de Lacédémone. Le second livre contenait l’histoire de la constitution romaine, depuis les premiers essais de Romulus jusqu’à l’entier déve- loppement delà République. Le fragment de ce livre, retrouvé dans le manuscrit du Vatican, ne nous conduit que jusqu’à l’époque des Décemvirs ; pro- bablement la moitié de cette histoire philosophique nous manque. Cicéron essayait de prouver que la supériorité de la constitution romaine venait de ce qu’elle n’était pas l’œuvre d’un seul homme et le monument d’une seule génération, mais le fruit de l’expérience de plusieurs siècles, et du génie d’une longue suite de grands hommes. En même temps qu’il mettait en lumière l’excellence des institutions romaines , il montrait comment, jusqu’à l’époque de leur accomplissement, la République n’avait jamais été stable, et s’était vue soumise aux vicissitudes dont il est parlé dans le premier livre. Pour Cicéron, la constitution des beaux temps de la République offrait la perfection et l’équilibre que demandait Seipion : les consuls représentaient l’autorité royale, le sénat était le modèle de l’aristocratie éclairée et vertueuse, le peuple avait une juste mesure de li- berté : doucement contenu, il ne manquait ni de droits ni de puissance. Dans le troisième livre, la politique est rattachée à la morale ; les sophismes odieux qui voulaient ôter à la justice la conduite des États , et allaient jus- qu’à nier la justice elle-même , en attaquant le droit et la sainteté des lois dans leur source, toute cette doctrine que Rome n’avait pas portée, mais qu’elle avait reçue de la Grèce, est réfutée par Lélius avec entraînement et une éloquence pleine d’élévation. Philus s’était chargé d’abord de soutenir la cause de l’injustice ; il avait reproduit toutes les plus for- tes objections de Carnéade contre la justice et le droit naturel , objections qui remontaient à Gorgias et aux sophistes, et que dans tous les temps quelques esprits faux, corrompus ou chagrins, ont essayé de remettre en honneur. Malheureusement nous n’a- vons qu’une partie fort restreinte du beau discours de Lélius ; et nous ne voyons qu’imparfaitement par quelles raisons profondes Cicéron était conduit à identifier la politique et la morale, et à vouloir que toutes les lois humaines fussent prises à la source éternellement pure du droit naturel et divin. Après avoir démontré que la justice doit régner sur le monde, il soumet à cette première maîtresse toutes les formes de gouvernement, et, lesjugeant de plus haut encore qu’il n’avait fait jusqu’ici, il affirme que sans la justice il n’est plus ni rois, ni gouver- nement, ni autorité, ni peuples. Ce qui nous reste du quatrième et du cinquième livre est trop peu de chose, et entre ces fragments isolés il y a trop peu de liens pour qu’il soit pos- sible d’indiquer avee quelques détails l’objet de ces nouveaux entretiens. On peut soupçonner que, dans le quatrième livre, Cicéron parlait des mœurs, et dans le cinquième des règles du gouvernement et des devoirs de l’homme politique.