Page:Cicéron - Œuvres complètes Nisard 1864 tome 4.djvu/281

Cette page n’a pas encore été corrigée

cause ce qui est simplement la condition de l'existence d'un fait; mais seulement ce qui, par sa seule présence, produit nécessairement l'événement dont il est cause. Avant que Philoctète eût été mordu par un serpent venimeux, quelle cause y avait-il dans la nature des choses pour qu'il fût abandonné à Lemnos? Mais, après cette morsure, son abandon eut une cause prochaine et très rapprochée de l'événement; c'est la nature de l'événement qui nous en dévoile la cause. Cependant, de toute éternité, cette proposition fut vraie : «Philoctète sera abandonné dans une île;» et il fut toujours impossible que de vraie elle devînt fausse. Car il est nécessaire que, entre deux contradictoires (j'appelle ici contradictoires deux propositions dont l'une affirme une chose que l'autre nie), il est nécessaire, disons-nous, qu'entre deux propositions de ce genre, malgré le sentiment d'Epicure, l'une soit vraie, et l'autre fausse; ainsi, de toute éternité, cette proposition : «Philoctète guérira, était vraie,» et celle-ci : «Il ne guérira pas,» était fausse. A moins toutefois que nous ne voulions nous ranger à l'opinion des Épicuriens, qui soutiennent que de telles propositions ne sont ni vraies ni fausses; mais bientôt, rougissant d'une telle absurdité, ils viennent à dire, ce qui est plus absurde encore, qu'en opposant deux propositions contradictoires, il faut avouer que l'une des deux est vraie; mais que, à les considérer isolément, ni l'une ni l'autre ne sont vraies. Il est difficile de croire que l'impudence et l'ignorance de la logique puissent aller plus loin. Comment ne voient-ils pas que déclarer qu'une proposition n'est ni vraie ni fausse, c'est avouer qu'elle n'est pas vraie, partant qu'elle est fausse? ou bien qu'elle n'est pas fausse, partant qu'elle est vraie? La maxime défendue par Chrysippe, que toute proposition est ou vraie ou fausse, me semble donc au-dessus de toute contestation ; et l'on doit en conclure que certaines choses sont vraies de toute éternité, sans être pour cela le résultat d'une série infinie de causes naturelles et l'oeuvre de la fatalité.

[17] XVII. La vérité est, si je ne me trompe, que, entre les deux doctrines opposées des anciens philosophes, l'une qui établissait le gouvernement absolu du Destin et l'empire de la nécessité, et dont les principaux partisans furent Démocrite, Héraclite, Empédocle et Aristote; l'autre qui affranchissait de cet empire les mouvements volontaires de l'âme ; Chrysippe, en arbitre conciliateur, a voulu partager le différend par la moitié, mais a penché pour ceux qui ôtent aux mouvements de l'âme les liens de la nécessité. Malheureusement il s'embarrasse dans son langage, il prête bientôt le flanc aux partisans de la fatalité, et leur donne des armes contre lui-même. Choisissons, pour nous en convaincre, une des premières questions que j'aie traitées, celle du consentement. Les anciens philosophes, qui admettaient la fatalité universelle, disaient que le consentement est nécessaire et forcé. Ceux qui professaient le sentiment contraire niaient l'empire de la fatalité sur le consentement, et prétendaient que si l'on soumettait le consentement au Destin, on le rendait inévitablement nécessaire. Voici comme ils raisonnaient : «Si tout arrive fatalement, tout se fait en vertu de causes externes et efficientes; si notre propre impulsion est dans cette condition-là, tout ce qui vient ensuite de notre impulsion y est en même sorte,