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vrai ni faux. Mais toute proposition est ou vraie ou fausse. Donc il n'y a point de mouvement sans cause. Cela étant, tout ce qui arrive est l'effet de causes précédentes. S'il en est ainsi, tout arrive fatalement. Il est donc démontré que le Destin préside à tous les événements du monde.» Je répondrai d'abord que, me fallût-il nier avec Épicure que toute proposition soit ou vraie ou fausse, j'aimerais mieux en venir à cette extrémité, que de recevoir en ma croyance le dogme de la fatalité universelle. Encore le sentiment d'Épicure mérite-t-il d'être discuté; mais celui de Chrysippe est de tous points insoutenable. Aussi l'habile Stoïcien emploie tous ses efforts à démontrer qu'il n'est point de proposition qui ne soit ou vraie ou fausse. D'un côté, Épicure appréhende qu'en accordant ce principe, il ne lui faille accorder aussi que tout arrive fatalement, car il lui semble que si l'une des deux alternatives est vraie de toute éternité, elle est par conséquent certaine; certaine, elle est nécessaire, et voilà le Destin reconnu. D'autre part, Chrysippe se trouve fort empêché, si l'on ne convient que toute proposition est ou vraie ou fausse, à démontrer que la fatalité règle tout, et que les événements futurs sont de toute éternité déterminés dans leurs causes. Mais Épicure croit échapper à la fatalité par la déclinaison de ses atomes. Voilà un troisième mouvement : à ceux que produisent la pesanteur et le choc, il faut ajouter cette déclinaison infiniment petite, g-elakiston, dit Épicure. Mais voilà un mouvement sans cause; si Épicure ne le déclare pas expressément, au fond il est forcé d'en convenir. Car si un atome vient à dévier, ce n'est pas qu'il ait été poussé par un autre : comment deux atomes pourraient-ils s'entrechoquer, puisque, d'après Épicure lui-même, ils sont tous emportés par la pesanteur, suivant une ligne droite et perpendiculaire? Non seulement ils ne s'entrechoquent point, mais ils ne se touchent même jamais. Donc bien certainement admettre les atomes et leur déclinaison, c'est admettre un mouvement sans cause. Épicure a imaginé cette déclinaison, parce qu'il craignait que si la pesanteur emportait seule les atomes d'un mouvement naturel et nécessaire, il n'y eût aucune action libre, l'âme étant contrainte de suivre toujours l'impulsion originelle des atomes. Aussi Démocrite, l'inventeur des atomes, a-t-il mieux aimé soumettre toutes choses à la fatalité, que de soustraire ses corpuscules à leurs mouvements naturels.

[11] XI. L'esprit ingénieux de Carnéade apprit aux Épicuriens comment ils pouvaient défendre leur sentiment sans recourir à cette déclinaison chimérique. Il attribue à l'âme le pouvoir de produire certains mouvements volontaires, qui sont incontestablement plus raisonnables que la déclinaison épicurienne, dont on ne peut, après tout, alléguer aucune cause. Avec la thèse de Carnéade, il est facile de répondre à Chrysippe. On lui accorde, qu'il n'est aucun mouvement sans cause; mais on nie que tout ce qui arrive doive s'expliquer par des causes efficientes et antécédentes à la fois, car il ne faut point chercher les causes de la volonté en dehors d'elle. C'est par un abus de langage que nous disons qu'un homme veut ou ne veut pas, sans cause; quand nous parlons ainsi, ce sont les causes externes et antécédentes que nous entendons exclure, et non toute