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DU DESTIN.

rête point à cette doctrine insensée, pas même pour admirer sa rapide et vaste propagation, attestée par Cicéron et par Tacite. C’est un succès qui appartient de droit aux fictions superstitieuses ; et la philosophie ne saurait avoir le crédit ni le débit de la divination.

Ces superstitions astrologiques, qui s’étaient attachées au mot de destin, ont déterminé les auteurs chrétiens à s’interdire peu à peu l’usage de ce mot. Peu à peu, car Tertullien s’en servait encore. Saint Augustin n’hésiterait point à l’employer, s’il ne le voyait ordinairement usité pour signifier des influences sidérales tout à fait absurdes. Boëce appelle encore fatum l’ordre que la providence entretient dans l’univers. Saint Thomas d’Aquin ne rejette ce terme que dans l’acception théologique. L’Alto Fato est célébré dans le Purgatoire du Dante. Leibnitz soutient que le Destin, pris dans le vrai sens, veut dire le décret et l’ordre le plus sage de la providence. Malgré ces exemples, il est sûr que beaucoup d’écrivains chrétiens ont évité cette expression, ou ne lui ont laissé que son acception odieuse ; et il est ainsi arrivé que, dans les langues modernes, surtout dans la nôtre, ce mot est devenu presque insensiblement synonyme des mots hasard, fortune, dont il était autrefois l’opposé, et, pour ainsi dire, l’adversaire.

Après avoir parcouru les opinions sur le Destin, en suivant l’ordre chronologique des sectes, l’auteur expose les diverses classifications systématiques de ces mêmes opinions, présentées par Pic de la Mirandole, par Gassendi, par Cudworth et par Beausobre. Il conclut en disant que les anciens philosophes, au nombre desquels il ne compte pas les astrologues, ont presque tout entendu par le mot Destin, ou Dieu même, ou quelqu’une de ses perfections, ou l’ordre éternel de ses décrets, et par conséquent une puissance intelligente.


TRAITÉ DU DESTIN.
Lacune

I ........ Cette question appartient à la doctrine des mœurs (ἦθος pour les Grecs) ; ce nom de doctrine des mœurs est celui que nous donnons d’ordinaire à cette partie de la philosophie ; mais, pour enrichir notre langue, on peut être reçu à l’appeler la morale. Il faut aussi faire connaître la nature et les règles des propositions que les Grecs nomment axiomes. Lorsqu’elles ont l’avenir pour objet et pour matière, ce qui peut être ou n’être pas, il est fort embarrassant de se prononcer sur leur valeur ; c’est la question philosophique des possibles (περὶ δυνατῶν), question toute du ressort de la logique, que j’appelle l’art de raisonner. Dans mes livres de la Nature des Dieux et de la Divination, j’avais suivi la méthode académique, qui laisse les deux sentiments opposés se produire dans toute leur force, sans interruption, et permet ainsi à chacun de reconnaître facilement quelle opinion semble la plus vraisemblable, et de se déclarer pour elle. Mais aujourd’hui une circonstance fortuite m’empêche d’introduire cette méthode dans mon traité du Destin. J’étais à Pouzzol en même temps que Hirtius, consul désigné, l’un de mes meilleurs amis, et qui cultivait alors avec beaucoup d’ardeur l’art qui a rempli ma vie. Nous étions le plus souvent ensemble, occupés surtout à rechercher par quels moyens on pourrait ramener dans l’État la paix et la concorde. César était mort, et de tous côtés il nous semblait voir des semences de dissensions nouvelles ; nous pensions qu’on devait se hâter de les étouffer, et ces graves soucis occupaient à eux seuls presque tous nos entretiens. Nous n’eûmes point d’autre pensée en plus de vingt rencontres ; mais un jour où nous trouvâmes plus de liberté, et où nous fûmes moins empêchés par les visiteurs que d’ordinaire, les premiers moments de notre entrevue furent donnés à nos préoccupations habituelles, et à cet échange en quelque façon obligé de nos pensées sur la paix et le repos public.

II. Quand nous eûmes achevé, Eh bien ! me dit Hirtius, les exercices oratoires, que vous n’avez pas abandonnés, j’espère, ont donc cédé la première place à la philosophie ? j’aimerais à vous