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CICÉRON.

chose même : comme, quand nous traitons de la pauvreté, nous faisons voir combien il faut peu de chose pour le besoin de la nature. Ou, laissant la subtilité des raisonnements, on se jette sur les exemples : on allègue Socrate, Diogène : on cite ce vers de Cécilius,

Sous des haillons souvent se cache la sagesse.


Car, puisque le poids de la pauvreté est le même pour tous les hommes, et que Fabricius a été assez fort pour le supporter, pourquoi paraîtra-t-il insupportable aux autres ? On suit cette dernière méthode, lorsque, pour consoler les affligés, on leur représente qu’il ne leur est rien arrive, qui ne soit du train ordinaire de la vie. On ne veut pas simplement leur apprendre quelle est la condition de l’humanité : on veut de plus leur persuader qu’ils peuvent bien souffrir patiemment ce que tant d’autres ont souffert et souffrent encore.

XXIV. Faut-il consoler un homme qui est tombe dans la pauvreté ? On lui nomme quantité de personnes illustres qui l’ont soufferte sans impatience. S’agit-il de quelque dignité manquée ? On allègue l’exemple de tant de gens qui ont vécu sans emploi, et qui n’en ont été que plus heureux. On loue ceux qui ont préféré la vie privée au maniement des affaires publiques. On n’oublie pas ces beaux vers d’Agamemnon, où il envie la félicité d’un vieillard, qui était parvenu à la fin de ses jours, sans se soucier de distinction ni de gloire. De même, si quelqu’un a perdu ses enfants, on a des exemples tout prêts, pour soulager sa douleur, par la comparaison de mille autres qui ont été dans le même cas. La conformité des malheurs d’autrui nous fait trouver le nôtre beaucoup moins grand, qu’il ne nous avait paru. Insensiblement nous reconnaissons l’erreur de nos préjugés. Télamon, parlant de la mort de son fils : Quand je le mis au monde, je savais qu’il devait mourir. Thésée, dans un cas semblable : J’avais envisagé tous les malheurs qui pouvaient m’arriver. Anaxagore : Je savais que mon fils était mortel. Par les réflexions qu’ils avaient faites depuis longtemps sur la condition des choses humaines, ils avaient appris à ne les pas voir du même œil que le vulgaire. Ce que le temps fait sur les uns, la prévoyance le fait à peu près sur les autres. Toute la différence qu’il y a, c’est que ceux-ci doivent à leur raison ce que ceux-là doivent à la nature seule. En comprenant que ce qui paraissait un si grand mal, ne pouvait pas les empêcher d’être heureux, ils ont trouvé le remède propre à les guérir. D’où il s’ensuit que la plaie causée par un mal imprévu, peut bien être plus profonde ; mais qu’il n’est pas vrai, comme le tient l’école de Cyrène, (pie de deux personnes, qui ont essuyé une infortune semblable, celle-là seule soit affligée, qui ne s’était pas attendue à cet événement. On assure au contraire, qu’il s’est trouvé des gens, qui, étant dans la douleur, et entendant parler de la commune condition des hommes, suivant laquelle il n’en est point qui puisse se promettre d’être a jamais exempt d’adversités, ont sur cela senti redoubler leur affliction.

XXV. C’est pourquoi, au rapport de notre ami Antiochus, Carnéade avait coutume de reprendre Chrysippe, pour avoir loué ces vers d’Euripide ;

mus, ut de paupertate nonnunquam : cujusonus disputando levamus, docentes, quam parva, et quam pauca sint, quae natura desideret : aut a disputandi suhtilitate oratîonem ad exempla traducimus. 1 lie Socrates commemoratur, hic Diogenes, hic Cœcilianum illud,

Saepe est etiam sub palliolo sordido sapientia.

Cum enim paupertatis una eademque sit vis, qnidnam dici potest quamobrem c. Fahricio lolerabilis ea fuerit, alii lièrent se ferre posse ? Huic igitur alteri generi similis ea ratio’consolandi, qmedocet humana esse, qui’ aceiderint. Non enim solum idconlinet ea disputatio, ut cogmtionem aflerat generis humaui : sed ~>igiii !icat tolerabilia ,qnaee1 tuleriut, et ferant cœteri.

XXIV. De paupertate agitur : niulti patientes pauperes commemoranlur. De contemnendo honore : mulli inhonorati proferuntar, et quidem propter id ipsum beatiores : eorumque, quiprivalum otium negotiis publicis antetulerunt, nominalim vita laudatur : nec siletur illud potentissirui regis anapaestum, qui laudat sencm, et fortunatum esse dicit, quod inglorius Bit alque ignobilis ad supremum dieni perventurus. Similiter ommemorandis exemplis, orbitates quoque liberorum pitedicantur : eorumque, qui grarins feront, luctusaliorum exemplis leniuntur. Sic per-I essio cseterorum facit, ut ea, gua ; acciderint, mullo minora, quam quanta sint exislimata, videantur. Ita fit sensim cogitantibus, ut quantum sit ementita opinio, appareat. Alque hoc idem et Telamo ille declarat,

Ego cum genui, moriturum scivi :


Et Theseus,

Futuras mecum commentabar miserias :


Et Anaxagoras, Sciebam me genuisse mortalem. Hi enim omnes diu cogitantes de rébus humanis, intelligebant eas nequaquam pro opinione vuigi esse extimescendas. Et mihi quidem ridetur idem fere accidere iis, qui ante medilantur, quod iis, quibus mede.tur dies : nisi quod ratio qunedam sanat illos ; nos ipsa natura, intellecto eo, quod remedium illud conlinel, maluin, quod opinatum sit esse maximum, nequaquam esse tantum, ut vitam beatam possil evertere. Hoc igitur efficitur, ut ex illo necopinato plaga major sit : non, ut illi pillant, ut cum duobus pares casusevenerinl, is modo aegritudiue afficiatur, coi ille necopinato casus evenerit. Itaque dicuntur nonnulli in mœrore, cum de hac commuai hominum conditioue audivissenf, ea lege uos esse natos, ut nemo in perpetuum esse posset expers mali, gravius etiam tulisse.

XXV. Quocirca Carneades, ut video nostrum scribere Antiochum, reprehendere Chrysippum solebat, laudanl’iu Enripidenm carmen illud :