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TUSCULANES, LIV. III.

féminé ? La Justice même, quoiqu’elle paraisse ici moins nécessaire, ne te laissera pas dans cet aveuglement. Elle t’apprendra que tu es doublement injuste. Car tu ambitionnes ce qui ne t’appartient pas, en ce que, tout mortel que tu es, tu aspires à la condition des Dieux : et d’autre côté, tu souffres avec peine de rendre à la nature ce qu’elle n’a voulu que te prêter. Mais que répondras-tu à la Prudence, qui t’enseignera que la vertu n’a besoin que d’elle-même, soit pour bien vivre, soit pour être heureuse ? Car si son bonheur dépendait de quelque chose d’étranger ; si elle n’était pas elle-même et son principe et sa fin ; si elle ne renfermait pas tout ce qui lui est nécessaire ; pourquoi mériterait-elle si fort nos louanges et nos désirs ? J’obéis, Épicure, si ce sont là les biens où tu m’appelles, je te suis, je ne veux point d’autre guide, j’oublie mes maux, comme tu le veux ; et d’autant plus aisément, que je ne les compte même pas pour tels. Mais tu tournes toutes mes pensées vers les plaisirs. Et quels plaisirs ? Ceux du corps sans doute ; ou ceux que le souvenir et l’espérance produisent par rapport à ce même corps. Est-ce bien cela ? Ai-je bien rendu ta pensée ? Car tes disciples prétendent que nous ne la prenons pas comme il faut. Mais ton système est tel que je l’ai dit ; et je me souviens qu’étant autrefois à Athènes, j’entendis le vieux Zénon, l’un des plus ardents et des plus subtils de tes sectateurs, nous crier de toutes ses forces, que celui-là était heureux, qui savait jouir des plaisirs présents et qui se flattait d’en jouir toute sa vie, ou du moins pendant la plus grande partie, sans aucun mélange de douleur ; bien persuadé, qu’en cas qu’il fût obligé d’éprouver quelque souffrance, si elle était vive, elle serait courte : et si elle était longue, elle aurait plus de douceur que d’amertume. Avec une telle pensée, ajoutait-il, on ne peut manquer d’être heureux ; surtout si on sait se contenter des plaisirs qu’on a goûtés, et ne craindre ni la mort ni les Dieux.

XVIII. Tel est le portrait de la béatitude épicurienne, tiré des propres termes de Zénon, en sorte qu’il n’y a pas moyen de le nier. Mais quoi ? nous persuadera-t-on que l’idée d’une pareille vie puisse consoler ou Thyeste, ou le père de Médée, vie dont nous avons parlé ci-dessus ; ou ce Télamon, chassé de sa patrie, errant, manquant de toutes choses ; et à la vue duquel on s’écriait avec étonnement :

Est-ce là ce héros, si grand, si glorieux,
Que l’éloge d’Alcide éleva jusqu’aux deux ;
Et qui par sa valeur, en tous lieux si vantée,
Fixait tous les regards delà Grèce enchantée ?


Si donc il arrive à quelqu’un, comme à Télamon, de perdre le courage avec les biens, c’est chez ces graves philosophes anciens, que je lui conseille d’aller chercher du remède, et non chez ces autres voluptueux. Car quels biens nous promettent-ils ? Supposons avec eux que. le plus grand soit de ne pas souffrir. Ce n’est pourtant point là ce qu’on appelle volupté : mais je ne m’arrête pas à cette difficulté quant à présent. Quoi qu’il en soit, est-ce là le point où nous devons atteindre, pour soulager notre douleur ? Je veux qu’elle soit le plus grand des maux : s’ensuit-il que celui qui ne souffre pas soit au comble de la félicité ? À quoi sert de biaiser ? Avouons, Epicure, qu’il nous faut encore un peu de cette volupté, que tu ne rougis pas de nommer, quand tu as perdu toute honte. Voici tes propres paro-

ditionem postules immortalium : et graviter feras, te, quod utendutn acceperis,reddidisse. Prudential vero quid respondehis, dicenti virtutem sese esse conlentam, quo modo ad hene vivenduin, sic et ad béate ? Quœ si extrinsecus religata pendeat, et non oriatur a se, et rtusus ad se revertalur, et omnia sua complexa nihil quarat aliunde : non inteiligo, cur aut verbis tara vehementer ornanda, aut re tantopere expetenda videatur. Ad ha ?c bona me si revocas, Epicure, pareo, sequor, utor te ipso duce, obliviscor eliam malorum, ut jubés : eoqne facilius, quod ea ne in malis quidem ponenda censeo. Sed traducis cogitationes meas ad voluptates ; quas ? corporis, credo, aut quai propter corpus vel recoidatione, vel spe cogitentur. Numquid eslaliud ? rectene interpretorsenlentiam tuam ? Soient enim isti negare nos inlelligere, quid dicat Epicuius. Hoc dicit,ethoc ille aciïculus, me audiente, Atbenis senex Zeno, istorum acutissimus, contendere, et magna voce dicere solebat : eum esse beatum, qui praesentibus voluptatibus frueretur, confîderetque se froitrirum aut in omni, aut in magna parte vitae, dolore non inlerveniente : aut si intervcnirel, si summus foret, fulurum brevem : sin productior, plus habiturum jucundi quam mali : hæc cogitaDtem foie beatum, prcesertim si et anteperceplis bonis contentus esset, nec mortem, nec Deos extimesceret.

XVIII. Habes formara Epicuri vitae beatae, verbis Zenonis expressarn, niliil ut possit negari. Quid ergo ? hujusne vitae propositio et cogilatio aut Tbyestem levare poterit, aut jEtam, de quo paulo ante dixi, aut Telamonem, pulsum patria, exsulantem atque egentem ? in quo hœc admira tio fiebat :

Hiccine est Telamo ille, modo quem gloria ad cœlum extulit ?

Quem adspectabant ? cujus ob os Graii ora ob vertebant sua ?


Quod si cui, ut ait idem,

.... simul animus cum re concidit


a gravibus illis antiquis philosopbis petenda medicina est, non ab bis voluptariis. Quam enim isti bonorum copiam dicunt ? Fac sane summum bonum esse non dolere : quanquam id non vocatur voluptas ; sed non necesse est mmc omnia : idne est, quo traducti, luctum levemus ? Sit sane summum malum dolere : in eo igilurqui non est, si malo careat, conlinuone fruitur summo bono ? Quid tergiversamur, Epicure, nec fatemur eam nos dicere voluplatem, quam tu idem, cum os peifricuisti, soles dicere ? Sunt hæc tua verba, necne ? In eo quidem libro, qui continet