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192 CICÉRON. Comme vous les connaissez , je les laisse de côté. Tout ce que je soutiens , c’est que jamais l’oracle de Delphes n’eût acquis tant de célébrité, une re- nommée aussi universelle, n’eût été enrichi des dons de tant de peuples et de rois, si tous les siècles n’avaient reconnu la vérité de ses prédic- tions. J’avoue qu’il a perdu de son autorité ; mais comme aujourd’hui sa célébrité a diminué en proportion delà vérité de ses oracles, on peut dire qu’autrefois il n’atteignit ce haut degré de gloire que par sa souveraine infaillibilité. Peut- être aussi cette force souterraine , où l’esprit de la Pythie puisait une inspiration divine, s’est-elle évaporée à la longue, comme les fleuves que nous voyons se dessécher ou changer de lit , en don- nant à leur cours une autre direction. Je vous laisse à décider cette importante question, pourvu que vous m’accordiez ce qu’on ne saurait nier sans bouleverser toute l’histoire, c’est-à-dire l’in- faillibilité de cet oracle pendant une longue suite de siècles. XX. Laissons là les oracles et venons aux son- ges. Chrysippe , à l’appui de ses opinions , en a re- cueilli un grand nombre dans leurs plus petits détails, à l’exemple d’Antipater, qui ne s’est at- taché qu’à ceux dont l’explication a été donnée par Antiphon. Ces interprétations attestent sans doute la pénétration de leur auteur, mais leur importance n’est pas assez grande pour que uous les citions. Philistus , historien aussi savant que consciencieux , et de plus contemporain des faits qu’il nous transmet , nous apprend que la mère de Denys, tyran de Syracuse, rêva, pendant qu’elle portait cet enfant dans son sein, qu’elle accou- chait d’un petit Satyre. Les Galéotes , comme on appelait alors en Sicile les interprètes des pré- linquo. Defendo unura hoc : nunquam illud oraculum Delpliis tam célèbre et tam clarum fuisset, neque lantis douis refertum omnium populorum atque regum, nisi omnis aetas oraculorum illorum veritatem esset experta. Jarndiu idem non facit. Ut iyitur nunc minore gloria est , quia minus oraculorum Veritas excellit ; sic tum, nisi summa erilate, in tanta gloria non fuisset. Potest autem vis illa lerraj, quas mentem Pythiœ dhino afflalu concita- bat, evanuisse vetustate, ut quosdam exaruisse amnes, aut in alium cursum contorlos et deflexos videmus. Sed, ut vis, accident ; magna enim quaestio est : modo maneat id , quod negari non potest, nisi omnem liistoriam per- verterimus , multis sœculis verax fuisse id oraculum. XX. Sed omittamus oracula ; veniamus ad somnia. De quibus disputans Chrysippus, multis, et minutis somniis < olligendis facit idem ,’quod Antipater, ea conqnirens , quae Antiphontis interpretatione explicata, déclarant illa qui- dem acume.n inter prelis ; sedexemplis grandioribus décrit uti. Dionysii mater ejus, qui Syracusiorum tyrannus frit, ut scriptum apud Pliilislum est, et doctum hominem , et diligentem, et œqualem temporum illorum, quum pr.e- gnans hune ipsum Dionysium alvo contineret , somniavit se peperisse Satyriscum. Huic interprètes portentorum , qi’i Galeolae turn in Sicilia nominabanlur, responderunt sages, déclarèrent, suivant Philistus, que l’enfant qu’elle mettrait au monde serait longtemps l’homme le plus célèbre et le plus heureux de la Grèce. Vous rappellerai-je les songes cités par les poètes grecs et romains ? Voici celui que raconte la Vestale d’Ennius : « La vieille réveillée en sur- saut apporte une lampe d’une main tremblante, et la Vestale lui raconte en pleurant le songe dont le souvenir l’effraie encore. Eurvdice, ô ma sœur, toi que chérissait notre père , la vie m’échappe , toutes mes forces m’abandonnent ; il m’a semblé qu’un homme beau de visage me saisissait et m’entraînait le long d’un fleuve , à travers les bois de saules, dans une contrée in- connue et pleine de charmes. Ensuite, ô ma chère sœur, j’ai longtemps erré dans ces lieux, te cherchant , et ne pouvant te serrer dans mes bras ; le sol se dérobait sous mes pieds. Enfin j’ai entendu la voix de mon père m’adressant ces mots : Ma fille , tu ne peux te dérober à ta des- tinée ; mais du fleuve naîtra la fin de tes mal- heurs. Le silence a suivi ces paroles , et je n’ai pu voir mon père, malgré mon désir ardent, mal- gré mes pleurs, mes supplications. J’ai vainement tendu mes bras vers le ciel , en l’appelant d’une voix caressante : alors ce sommeil fatigant m’a abandonnée. » XXL Cette fiction poétique ressemble beau- coup à un songe réel. Celui qui troubla Priam est sans doute aussi l’œuvre d’un poète. « Il sem- bla à Hécube enceinte qu’elle accouchait d’un flambeau. Le roi Priam , frappé de terreur par ce songe, ne cessait d’immoler des brebis aux Dieux. Il consulte un devin inspiré d’Apollon, et lui demande ce que signifient tous ces présages. Apol- lon lui-même répond par la voix de l’oracle que si (ut ait Philistus), eum , quem illa peperisset , clarissimum Gra ?ciaî diulurna cum ibrtuna fore. Num te ad fabulas re- voco vel nostrorum vel Graecorum poetarum ? JNarrat enim et apud Ennium Vestalis illa : Excita quum tremulis anus attulit arlubu’ lumen, Talia commémorât lacrymans exterrita somno : Eurydica prognata, pater quam noster amavit, Vires, vitaque corpu’ meum nunc deserit omne. Nam me visus homo pulcher per amrena salicla Et ripas raptare, locosque novos. Ita sola Postilla , germana soror, errare videbar, Tardaque vestigare, et qua ;rere te, neque posse Corde capessere : semita nulla pedein stabilibat. Exin compellare pater me voce videtur His verbis : O gnata, tibi sunt ante gerendae jErumnac ; post ex fluvlo fortuna resistet. Haec pater effatus, germana, repente recessit , Nec sese dédit in conspectum corde cupitus ; Quanquam multa manus ad cœli c ;erula templa Tendebam lacrymans, et blanda voce vocabam. Vix agio tum corde meo me somnu’ reliquit. XXI. Haec, etiam si ficta sunt a poeta, non absunt ta- men a consuetudine somrïiorum. Sit sane etiam illud corn- mentitium , quo Priamus est conturbatus, Quia mater gravida parère se ardentem facem