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DE LA NATURE DES DIEUX, LIV. III.

je pense, et comme pontife, et comme Cotta. Mais vous, en qualité de philosophe, amenez-moi à votre sentiment par la force de vos raisons. Car un philosophe doit me prouver la religion qu’il veut que j’embrasse ; au lieu que j’en dois croire là-dessus nos ancêtres, même sans preuves.

III. Et quelles preuves exigez-vous de moi, lui demanda Balbus ? Vous avez proposé quatre articles, lui dit Cotta. Le premier, Qu’il y a des Dieux. Le second, Quels sont les Dieux. Le troisième. Qu’ils gouvernent l’univers. Le quatrième, Qu’ils veillent en particulier sur les hommes. Telle a été, si je ne me trompe, votre division. Vous ne vous trompez point, répondit Balbus : mais voyons, que demandez-vous ? Reprenons chaque proposition, dit Cotta. La première, Qu’il y a des Dieux, ne saurait être contestée que par des impies outrés. Mais ce point-là, que jamais on ne m’arrachera de l’âme, c’est sur la foi de nos ancêtres que je le crois, et non sur les preuves que vous en apportez. Du moment que vous le croyez, reprit Balbus, est-il besoin que je vous en apporte des preuves ? Oui, dit Cotta, parce que je me présente à cette dispute comme si je n’avais de ma vie pensé aux Dieux, ni entendu parler de ce qui les touche. Prenez-moi pour un disciple tout neuf, qui n’est imbu de rien ; et, cela supposé, répondez à mes questions. Faites-les donc, répliqua Balbus. Je voudrais d’abord, lui dit Cotta, savoir pourquoi, ayant commencé par dire que l’existence des Dieux est si évidente qu’elle n’a pas besoin de preuves, vous avez pourtant été si longtemps à la prouver ? En cela, répondit Balbus, j’ai fait ce que je vous ai souvent vu faire au barreau. Quand vous plaidez, vous accablez le juge par le plus de preuves que l’espèce de votre cause vous le permet. C’est aussi la pratique des philosophes. J’avais droit de la suivre ; du reste votre question revient à celle-ci : Pourquoi je vous regarde de mes deux yeux, puisqu’un seul me suffirait pour vous bien voir ?

IV. Jugez vous-même, lui dit Cotta, si ce sont là des comparaisons fort justes. Car pour moi, quand je plaide, je ne m’arrête pas à raisonner sur un article qui sera d’une notoriété bien reconnue. De longs raisonnements ne font que nuire à l’évidente. D’ailleurs, quand j’aurais cette méthode dans un plaidoyer, je ne voudrais pas m’en servir dans un discours tel que celui-ci, où il faut beaucoup de précision. Et pour ce qui est de n’employer qu’un œil à me regarder, il n’y aurait pas de raison à cela, puisque les yeux forment tous les deux ensemble un seul regard : la nature, à qui vous attribuez de la sagesse, nous ayant voulu faire voir en même temps par deux ouvertures, qui servent conjointement à nous communiquer le jour. Ce qui vous a donc porté à entasser tant de preuves sur l’existence des Dieux, c’est que vous ne sentiez pas qu’elle fût aussi évidente que vous l’auriez souhaitée. Par rapport à moi, c’était assez de l’établir sur la tradition de nos pères. Mais puisque vous ne comptez pour rien les autorités, et que vous faites valoir ici la raison toute seule, permettez que ma raison défende ses droits contre la vôtre. Car je prétends que les preuves sur lesquelles vous fondez l’existence des Dieux n’aboutissent qu’à rendre douteux un sentiment qui, à mon avis, n’est point douteux. Les voici, ces preuves : je les ai toutes