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CICÉRON.

nous avons tous notre jugement à suivre, il ne m’est guère possible de faire de vos idées la règle des miennes. Que j’ai d’impatience de vous entendre, dit Velléius ! Puisque notre cher Balbus a été ravi de votre discours contre Épicure, il est juste qu’à mon tour j’écoute volontiers ce que vous direz contre les Stoïciens. Aussi vous crois-je, à votre ordinaire, bien disposé au combat. J’aurais fort à souhaiter de l’être, reprit Cotta : car l’affaire n’est pas si facile avec Balbus qu’elle l’était avec vous. Pourquoi donc, lui demanda Velléius ? Parce qu’il me semble, repartit Cotta, que votre Épicure n’est pas infiniment vif sur ce qui concerne les Dieux. Seulement, pour n’avoir point de risque à courir, il n’ose nier leur existence. À cela près, dire qu’ils vivent dans une parfaite inaction, et qu’ils ont des membres comme les nôtres, mais dont ils ne font pas le moindre usage, c’est se moquer, dans l’espérance qu’on lui passera tout, dès lors qu’il se donnera pour croire des êtres heureux et immortels. Mais à l’égard de Balbus, n’avez-vous pas remarqué combien de choses il nous a dites, et de choses qui, toutes fausses qu’elles peuvent être, ne laissent pas d’être suivies et liées parfaitement ? C’est ce qui m’a fait dire que mon dessein, en lui répondant, serait moins de réfuter ses principes, que de l’engager à éclaircir mes difficultés. Ainsi, Balbus, voyez ce que vous aimerez le mieux, ou que je vous interroge sur chacune séparément, ou que je vous parle sans interruption. Si vous ne voulez que des éclaircissements, répliqua Balbus, j’aime mieux que vous proposiez vos doutes l’un après l’autre : mais si votre intention est plutôt de me réfuter que de vous instruire, choisissez ; il m’est égal de répondre sur-le-champ à chaque point, ou d'attendre que vous soyez au bout.

II. Eh bien, dit Cotta, le tour que prendra notre conversation en décidera. Mais, avant que de venir au fait, j’ai un mot à vous dire sur ce qui me regarde. Car votre autorité, Balbus, et l’exhortation que vous n’avez faite en finissant de me ressouvenir que Cotta, et pontife, ne font pas une légère impression sur mon esprit. Par là vous avez voulu, je crois, me porter à défendre la religion et les cérémonies, qui nous sont venues de nos ancêtres. Certainement je les ai toujours défendues, et les défendrai toujours ; et jamais nul discours, ni de savant, ni d’ignorant, ne me fera écarter de ce que nos pères nous ont enseigné touchant le culte des Dieux immortels. En matière de religion, je me rends à ce que disent les grands pontifes Coruncanius, Scipion et Scévola, et non pas aux sentiments de Zénon, ou de Cléanthe, ou de Chrysippe. Je préfère ce qu’en a écrit Lélius, qui était un de nos augures et un de nos sages, à tout ce que les plus illustres Stoïciens m’en voudraient apprendre. Et comme la religion du peuple Romain a d’abord consisté dans les auspices et dans les sacrifices, à quoi l’on a depuis ajouté les prédictions, qui, en conséquence des prodiges, sont expliquées par les interprètes de la Sibylle, ou par les aruspices ; j’ai toujours cru qu’on ne devait rien mépriser de ce qui a rapport à ces trois chefs. Je me suis même persuadé que Romulus par les auspices qu’il ordonna, et Numa par les sacrifices qu’il établit, avaient jeté les fondements de Rome, qui sans doute n’aurait pu s’élever à ce haut point de grandeur, si elle ne s’était attiré par son culte la protection des Dieux. Voilà donc, Balbus, ce que