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CICÉRON.

LXIV. Je serais trop long, si je m’arrêtais ici aux propriétés des ânes et des mulets, pour montrer qu’ils sont certainement destinés à nos usages. Et le cochon, à quoi est-il bon qu’à manger ? Il n’a une âme, dit Chrysippe, qu’en guise de sel, pour l’empêcher de pourrir. Au reste, comme il était propre à la nourriture des hommes, la nature n’a point fait d’animal plus fécond que celui-là. Quelle multitude d’oiseaux et de poissons, qui tombent dans les piéges que nous savons leur tendre, et qui flattent si délicieusement le goût, que l’on serait tenté quelquefois de croire notre providence épicurienne ! Il y a certains oiseaux que nous croyons faits pour prédire l’avenir, les uns par leur chant, les autres par leur vol. Quant aux grosses bêtes sauvages, nous les prenons à la chasse ; soit pour les manger ; soit pour nous occuper à un exercice, qui est l’image de la guerre ; soit pour nous servir de celles qu’on peut dompter et instruire, comme les éléphants ; soit pour y trouver des remèdes à nos maladies et à nos plaies, comme il s’en trouve dans certaines plantes dont, à force d’expériences, on a connu les vertus. Représentez-vous enfin toute la terre, comme si vous l’aviez devant les yeux. Que découvrirez-vous ? De vastes campagnes fertiles en grains ; des montagnes revêtues d’épaisses forêts : des pâturages immenses pour les bestiaux. Représentez-vous toutes les mers. Vous les verrez couvertes de navires, qui fendent les flots avec une incroyable vitesse. Et, non contents de regarder la face de la terre, voyez jusque dans la profondeur de ses entrailles une infinité de choses utiles, qui, faites pour l’homme, ne sont découvertes que par l’homme seul.

LXV. Une autre preuve, et des plus fortes, selon moi, pour faire sentir que la providence des Dieux prend soin de nous, c’est la divination. Preuve que tous les deux, peut-être, vous attaquerez : vous, Cotta, parce que Carnéade s’élevait volontiers contre les Stoïciens ; vous, Vellélus, parce qu’il n’est rien dont Épicure se moque tant que des pronostics. Quoi qu’il en soit, la vérité de la divination se fait connaître dans plusieurs lieux, dans plusieurs rencontres ; dans les affaires particulières, encore plus dans les publiques. On reçoit plusieurs avertissements par les aruspices, par les augures, par les oracles, par les vaticinations, par les songes, par les prodiges : et souvent il est arrivé, grâce aux lumières venues par cette voie, que les événements ont été heureux, et qu’on a repoussé d’imminents périls. Appelez donc la divination une manière de transport, ou un art, ou une faculté naturelle : toujours est-il sûr qu’elle se trouve parmi les hommes ; et que dans quiconque elle se trouve, c’est un don des Dieux. Que si ces preuves, en les prenant chacune séparément, font peu d’impression sur votre esprit : du moins, quand vous remarquez comme elles sont liées toutes ensemble, vous en devez être touché. Au reste, la providence des Dieux n’embrasse pas le genre humain dans son universalité seulement, elle veille sur chaque particulier. Une gradation vous rendra ceci sensible, en vous conduisant de l’universalité à un moindre nombre, et d’un moindre nombre aux particuliers.

LXVI. Car si les raisons que j’ai touchées prouvent que les Dieux prennent soin de tous les hommes, dans quelque pays, dans quelque