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DE LA NATURE DES DIEUX, LIV. II.

les villes d’Athènes et de Sparte ont été bâties pour les Athéniens et pour les Spartiates ; et que tout ce qu’elles renferment est censé appartenir à ces peuples : de même on doit juger que tout ce qui est dans le monde est aux Dieux et aux hommes. Le soleil, la lune, tous les astres, outre qu’ils font partie de ce qui constitue l’univers, servent aussi de spectacle aux mortels. Spectacle ravissant, dont on ne se rassasie point, le plus digne de nous occuper et d’exercer notre pénétration. En mesurant le cours des astres, nous avons observé les différentes saisons, leur durée, leur vicissitude ; et puisque tout cela n’est connu que des hommes seuls, on a sujet de croire qu’il a été fait pour l’amour d’eux. Que la terre produise toute sorte de grains et de légumes, est-ce pour les hommes, ou pour les brutes ? Celles-ci ne touchent pas même aux fruits de la vigne et de l’olivier, qui viennent en si grande quantité, et d’un goût si exquis. Elles ne savent ni semer, ni cultiver, ni faire à temps la récolte, ni serrer et garder les fruits : il n’y a que l’homme qui prenne ces soins, et qui en profite.

LXIII. Ainsi, de même que les lyres et les flûtes sont faites pour ceux qui s’en peuvent servir, les fruits de la terre sont uniquement destinés à ceux qui en usent. Et si quelques bêtes en dérobent un peu, il ne s’ensuit pas que la terre les ait produits à leur intention. Quand les hommes font provision de froment, c’est pour leurs femmes, pour leurs enfants, pour leurs familles ; et non en faveur des rats, ou des fourmis. Aussi les bêtes n’en jouissent-elles qu’à la dérobée, comme j’ai dit : mais les maîtres, publiquement et librement. C’est donc pour nous que la nature prétend travailler. Une si grande abondance, une si grande variété de fruits, qui réjouissent non seulement le goût, mais encore l’odorat et la vue seraient-elles pour d’autres que pour nous ? Eh ! comment les bêtes auraient-elles part au motif qui a fait produire les fruits de la terre, puisqu’elles ont été produites elles-mêmes pour les hommes ? En effet, si les brebis ne portaient une laine, qui préparée et tissue sert à nous vêtir, de quelle utilité seraient-elles, n’étant capables de rien sans le secours de l’homme, pas même de pourvoir à leurs aliments ? Que signifient dans le chien tant de fidélité, l’art de flatter amoureusement son maître, une si grande haine pour les étrangers, tant de sentiment pour quêter le gibier, tant de vivacité à le poursuivre : que signifient, dis-je, toutes ces qualités du chien, si ce n’est qu’il est né pour le service de l’homme ? Parlerai-je des bœufs ? On voit bien, à la forme de leur dos, que leur affaire n’est pas de porter des charges ; mais leur cou est naturellement fait pour le joug, comme leurs fortes et larges épaules pour tirer la charrue. Dans le siècle d’or, ainsi que parlent les poètes, le service que ces animaux rendaient au laboureur, en lui fendant les guérets, était censé si important, que c’eût été alors un crime de les tuer pour les manger.

Mais bientôt s’éleva cette race brutale
Qui forgea la première une lame fatale,
Et qui, pour se nourrir cherchant un mets nouveau,
Égorgea sans pitié le docile taureau.