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CICÉRON.

notre travail, c’est à-dire par nos mains, nous savons multiplier et varier nos aliments. Car beaucoup de fruits, ou qui se consomment d’abord, ou qui se doivent garder, ne viendraient point sans culture. D’ailleurs, pour manger des animaux terrestres, des aquatiques el des volatiles, nous en avons partie à prendre, partie à nourrir. Pour nos voitures, nous domptons les quadrupèdes, dont la force et la vitesse suppléent a notre faiblesse et à notre lenteur. Nous faisons porter des charges aux uns. le joug a d’autres. Nous faisons servir a nos usages la sagacité de l’éléphant. et l’odorat du chien. Le fer, sans quoi l’on ne peut cultiver les champs, nous allons le prendre dans les entrailles de la terre. Les veines de cuivre, d’argent et d’or, quoique très-cachées, nous les trouvons, et nous les employons à nos besoins, ou à des ornements. Nous avons des arbres, ou qui ont été plantés à dessein, ou qui sont venus d’eux-mêmes ; et nous les coupons, tant pour faire du feu, nous chauffer et cuire nos viandes, que pour bâtir, et nous mettre à l’abri du chaud et du froid. C’est aussi de quoi construire des vaisseaux, qui de toutes parts nous apportent toutes les commodités de la vie. Nous sommes les seuls animaux qui entendons la navigation, et qui par là nous soumettons ce que la nature a fait de plus violent, la mer et les vents. Ainsi nous tirons de la mer une infinité de choses utiles. Pour celles que la terre produit, nous en sommes absolument les maîtres. Nous jouissons des plaines, des montagnes : les rivières, les lacs sont à nous : c’est nous qui semons les blés, qui plantons les arbres : nous fertilisons les terres en les arrosant par des canaux : nous arrêtons les fleuves, nous les redressons, nous les détournons. En un mot, nos mains tâchent de faire dans la nature, pour ainsi dire, une autre nature.

LI. Mais quoi ! l’esprit humain n’a-t-il pas même pénétré dans le ciel ? De tous les animaux, il n’y a que l’homme qui ait observé le cours des astres, leur lever, leur coucher ; qui ait déterminé l’espace du jour, du mois, de l’année ; qui ait prévu les éclipses du soleil et celles de la lune ; qui les ait prédites à jamais, marquant leur grandeur, leur durée, leur temps précis. Et c’est dans ces réflexions que l’esprit humain a puisé la connaissance des Dieux. Connaissance qui produit la piété, la justice, toutes les vertus, d’où résulte une heureuse vie, semblable à celle des Dieux, puisque dès-lors nous les égalons, à l’immortalité près, dont nous n’avons nul besoin pour bien vivre. Par tout ce que je viens d’exposer, je crois avoir suffisamment prouvé la supériorité de l’homme sur le reste des animaux. Concluons que ni la conformation de son corps, ni les qualités de son esprit, ne peuvent être l’effet du hasard. Pour finir, car il est temps, je n’ai plus qu’à montrer que tout ce qui nous est utile dans ce monde-ci a été fait exprès pour nous.

LXII. Premièrement, le monde a été fait pour les Dieux et pour les hommes. Tout ce qu’il contient a été préparé, a été imaginé pour notre utilité particulière. Il est la maison commune, ou la cité des Dieux et des hommes, puisque ce sont les seuls êtres raisonnables, les seuls qui connaissent la justice, et qui aient une loi. Ainsi, comme