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DE LA NATURE DES DIEUX, LIV. II.

broutent, d’autres la dévorent, d’autres la mâchent. Il y en a d’une taille si basse, que leur bec peut bien prendre à terre leur nourriture : d’autres, étant d’une taille plus haute, comme les oies, les cygnes, les grues, les chameaux, ont le cou long pour y pouvoir atteindre. L’éléphant, par cette raison, a une trompe ; sans quoi, grand comme il est, il aurait eu peine à y arriver.

XLVIII. Ceux des animaux qui ont à se nourrir d’animaux d’une autre espèce ont en partage, ou la force, ou la légèreté. Il y en a même qui sont capables de finesse et de ruse. Parmi les araignées, les unes tendent une manière de filet pour attraper ce qui se présente : les autres sont au guet, s’il faut ainsi dire, pour se jeter sur leur proie, et l’avaler. La pinne s’entend avec la petite squille pour chercher ensemble leur vie. Elle a deux grandes écailles béantes ; et quand de petits poissons y vont nager, avertie par la squille, qui la mord, elle resserre ses écailles à l’instant. Quoique très-différentes, ces petites bêtes cherchent ainsi leur vie en commun, sans que l’on puisse dire si c’est une convention qu’elles font, ou si elles naissent conjointement l’une avec l’autre. On a lieu de s’étonner aussi de ces bêtes aquatiques, qui, nées sur la terre, ne laissent pas de chercher l’eau, du moment qu’elles ont la force de se traîner. C’est ce qui se voit dans les crocodiles, dans les tortues de rivière, et dans une certaine espèce de serpents. Il nous arrive souvent de faire couver des œufs de canes par des poules, lesquelles, ainsi que de véritables mères, nourrissent d’abord les petits qui en sont éclos : mais ces petits, quand ils voient de l’eau, abandonnent celles qui les ont couvés ; et, malgré elles, ils courent à l’eau, comme à leur demeure naturelle. Tant est forte dans les animaux l’impression de la nature, qui les porte à se conserver.

XLIX. J’ai lu d’un oiseau nommé platalée que pour se nourrir il vole après les plongeons ; et lorsqu’ils sortent de la mer, leur pique et leur serre la tête, jusqu’à ce qu’ils lâchent leur proie, dont il s’empare. On dit aussi qu’il avale du coquillage en grande quantité, et qu’après l’avoir cuit par la chaleur de son estomac, il le rend, et choisit alors ce qu’il y a de bon à manger. Une ruse, dit-on, familière aux grenouilles de mer, c’est de se couvrir de sable au bord de l’eau : elles viennent à remuer : les poissons y courent comme à un appât, et sont pris eux-mêmes. Il y a entre le corbeau et le milan une espèce de guerre naturelle, qui fait que partout où l’un trouve les œufs de l’autre, il les casse. Aristote, qui n’a presque rien omis en ce genre, remarque une chose bien digne d’admiration. Quand les grues passent la mer pour gagner des pays plus chauds, elles forment la figure d’un triangle. Par l’angle de devant, elles fendent l’air qui leur résiste : aux deux côtés, elles battent des ailes, et cela leur sert comme de rames, pour faciliter leur course : la base de leur triangle est aidée des vents, qu’elle a comme en poupe. Les grues qui sont derrière, appuient leur cou et leur tête sur celles qui les précèdent : mais celle qui les guide ne pouvant avoir ce soulagement, parce qu’elle n’a pas de quoi s’appuyer, elle revient à la queue pour se reposer. Une de