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CICÉRON.

montagne éloignée le divin vaisseau des Argonautes, surpris, effrayé de ce nouvel objet, parle ainsi dans un de nos poëtes :

                                   De loin, sur l’onde émue
Une masse effroyable, à mes yeux inconnue,
Paraît, s’ébranle, marche, élève à gros bouillons,
Avec un bruit affreux, d’humides tourbillons.
Sur les flots écumants, soulevés par l’orage,
Elle semblait venir comme un épais nuage,
Qui poussé par les vents, que j’entendais siffler,
Toujours de plus en plus se hâtait de rouler.
Mon cœur épouvanté tremblait à son approche.
On eût dit que c’était une mouvante roche,
Que Triton, par un coup de sa fourche de fer,
Tirait du plus profond des gouffres de la mer.

D’abord, le voilà en suspens à la vue d’un objet inconnu. Enfin, lorsqu’il découvre les jeunes mariniers, et qu’il entend chanter dans le vaisseau :

Tels que dauphins légers je les vois qui s’élancent,

dit-il ; et, après bien d’autres choses,

J’entends que, de ces Dieux qui chantent dans nos bois,
Ils savent imiter l’harmonieuse voix.

Ainsi, du premier coup d’œil ce berger croit voir quelque chose d’inanimé et d’insensible ; ensuite, sur des indices plus forts, il commence à se figurer ce que c’est. De même, si des philosophes avaient été d’abord surpris à l’aspect de l’univers, ils ont dû, après en avoir bien considéré les mouvements réguliers, uniformes et immuables, concevoir que non-seulement le ciel n’était pas sans quelque habitant, mais qu’il y avait un maître, un gouverneur, qui était comme l’architecte du superbe ouvrage que nous voyons.

XXXVI. Au lieu d’en venir là, ils me semblent ne se douter pas même que le ciel et la terre leur offrent rien de si merveilleux. La terre, dis-je qui se présente la première, située au centre du monde, et partout environnée de l’air que nous respirons ; l’air, environné à son tour du vaste éther, qui est composé des feux les plus élevés. Une infinité d’astres qui sortent de l’éther, tous d’une grandeur immense, à la tête desquels est le soleil, dont la vive lumière se répand partout, et dont la grandeur l’emporte de beaucoup sur celle de toute la terre. Des feux si étendus, si nombreux, loin de nuire à la terre et aux choses terrestres, leur sont utiles ; au lieu que s’ils venaient à se déplacer, ils nous embraseraient, leur chaleur n’étant plus tempérée à un juste degré.

XXXVII. Ici ne dois-je pas m’étonner qu’il y ait un homme qui se persuade que de certains corps solides et indivisibles se meuvent d’eux-mêmes par leur poids naturel, et que, de leur concours fortuit, s’est fait un monde d’une si grande beauté ? Quiconque croit cela possible, pourquoi ne croirait-il pas que si l’on jetait à terre quantité de caractères d’or, ou de quelque matière que ce fût, qui représentassent les vingt et une lettres, ils pourraient tomber arrangés