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DE LA NATURE DES DIEUX, LIV. II.

l’art dans l’ordonnance d’une flotte, ou d’une armée ; et pour ne comparer ici que les ouvrages de la nature, on l’admire dans la production de la vigne, dans celle de l’arbre, dans la figure des animaux, dans la conformation de leurs membres. Quoi, son art n’est-il pas encore plus remarquable dans l’univers ? Ou niez que nulle part on voie quelques traces d’une nature intelligente, ou avouez qu’elle se manifeste dans le bel ordre de l’univers. Car enfin, puisqu’il renferme tous les êtres particuliers, aussi bien que leurs semences, peut-on dire qu’il n’est pas gouverné lui-même par la nature ? Ce serait dire que les dents et le poil de l’homme sont l’ouvrage de la nature, mais que l’homme lui-même ne l’est pas ; ce serait ne pas comprendre que la cause l’emporte sur l’effet.

XXXIV. Or le monde sème, pour ainsi parler ; il plante, il produit, il élève, il nourrit, il conserve tous les êtres particuliers, comme ses membres, comme des portions de lui-même. Si donc la nature les gouverne, elle doit aussi le gouverner lui-même. Au reste, sa manière de gouverner n’a rien de répréhensible. La nature a fait ce qui se pouvait faire de mieux avec les éléments qui existaient. Qu’on nous montre qu’elle a pu mieux faire ! Mais c’est ce qu’on ne montrera jamais ; et qui voudrait toucher à son ouvrage ferait pis, ou désirerait ce qui n’a pas été possible. Toutes les parties de l’univers étant donc tellement formées qu’il n’y peut rien avoir de mieux proportionné à nos usages, ni de plus beau à l’œil : voyons si c’est l’effet du hasard, ou si c’est une combinaison qui demande absolument une providence divine. On ne doit pas croire que la raison manque à la nature, s’il est vrai que l’art ne fasse rien sans le secours de la raison, et que les ouvrages de la nature soient cependant plus achevés que ceux de l’art. Jetez-vous les yeux sur un tableau, sur une statue ? vous comprenez que l’ouvrier y a mis la main. Regardez-vous de loin voguer un navire ? vous jugez que l’art du pilote dirige son cours. Voyez-vous un cadran, une horloge d’eau ? vous croyez que les heures y sont marquées artificiellement, et non par hasard. Pouvez-vous donc vous imaginer que le monde, qui comprend et les arts et les artisans, qui comprend tout, n’ait point d’intelligence, point de raison ? Que l’on porte en Scythie, ou en Bretagne, cette sphère que fit dernièrement notre cher Posidonius, laquelle marque le cours du soleil, de la lune, et des cinq planètes, comme il se fait chaque jour et chaque nuit dans le ciel ; qui doutera, parmi ces barbares, que l’esprit ait présidé à ce travail ?

XXXV. Et nous voyons des gens qui doutent si l’univers, principe de toutes choses, n’est point l’effet du hasard, ou d’une aveugle nécessité, plutôt que l’ouvrage d’une intelligence divine ! Archimède, selon eux, montra plus de savoir en représentant le globe céleste, que la nature en le faisant, quoique la copie soit bien au-dessous de l’original. Un berger qui de sa vie n’avait vu de navire, au moment qu’il aperçoit d’une