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DE LA NATURE DES DIEUX, LIV. I.

oiseaux, qui, comme ils ont les jambes fortes, et un long bec de corne, tuent quantité de serpents : par là ils sauvent à l’Égypte des maladies contagieuses, en tuant et mangeant ces serpents volants, que le vent d’Afrique y porte du désert de Libye : ce qui fait que ces serpents ne font de mal, ni par leur morsure quand ils sont en vie, ni par leur infection après leur mort. Si je ne craignais d’être trop long, je dirais quels services les Égyptiens tirent des ichneumons, des crocodiles, des chats. Mais, sans entrer dans ce détail, je puis conclure que les bêtes qui sont déifiées par les barbares le sont à titre d’utilité : au lieu que vos Dieux ne sont recommandables par nulle action utile, ni même en général par quelque action que ce soit.

XXXVII. Un Dieu n’a rien à faire, dit Épicure. C’est penser, comme les enfants, qu’il n’est rien de comparable à l’oisiveté. Encore ne la goûtent-ils pas tellement, qu’ils ne s’exercent volontiers à de petits jeux. Mais votre Dieu est absorbé dans une quiétude si profonde, que pour peu qu’il vînt à se remuer, on prendrait l’alarme, comme si tous ses plaisirs expiraient. Cette opinion dérobe aux Dieux le mouvement et l’action qui leur conviennent : et d’ailleurs elle porte les hommes à la paresse, en leur faisant croire que le moindre travail est incompatible, même avec la félicité divine. Mais enfin, puisque vous le voulez, Dieu est donc l’image de l’homme. Venons à examiner sa demeure, et quel lieu il occupe ; comment il vit ; par quels biens et par quel usage de ses biens il est heureux, ainsi que vous le prétendez. À l’égard du lieu, il n’est point de corps, même inanimé, qui n’occupe le sien. Au plus bas est la terre, l’eau se répand sur elle, l’air s’élève au-dessus, le feu gagne la plus haute région. Il y a des animaux terrestres ; il y en a d’aquatiques ; il y en a d’amphibies, qui vivent dans l’un et dans l’autre élément ; il y en a même qu’on voit souvent voltiger dans les fournaises ardentes, et qu’on croit qui naissent dans le feu. Puis-je donc savoir de vous, premièrement, où habite votre Dieu, et qu’est-ce qui le fait aller d’un lieu à un autre, supposé qu’il change jamais de situation ? Après cela, puisqu’il n’y a point d’être animé qui n’ait un penchant convenable à sa nature, quel est celui de votre Dieu ? Que fait-il de son esprit et de sa raison ? À quoi attachez-vous sa félicité, son immortalité ? Point de réponse à pas un de ces articles, qui ne soit meurtrière pour vous ; et c’est ce qui arrive quand on s’embarque dans un faux système. Voici le vôtre : « Que les Dieux ne sont pas visibles, mais intelligibles. Que ce ne sont pas des corps solides, et qu’ils ne se montrent pas toujours les mêmes individuellement ; mais que nous les concevons par des images ressemblantes et passagères. Que comme il y a des atomes à l’infini pour produire de ces images, elles sont inépuisables, et nous présentent à l’esprit, quand nous y sommes bien attentifs, une espèce d’êtres heureux et mortels. »

XXXVIII. Au nom des Dieux mêmes dont nous parlons, dites-moi, que signifie tout cela ? Car enfin, si les Dieux sont intelligibles seulement, et n’ont d’eux-mêmes rien de solide, nul relief : quelle différence mettez-vous entre penser à un hippocentaure, et penser à un Dieu ? Toutes ces sortes d’idées, que vous croyez l’effet des images qui nous entrent dans l’esprit, ne sont regardées par les autres philosophes que comme de vains fantômes. Quand, par exemple, je crois voir