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TUSCULANES.


LIVRE TROISIÈME.

DU CHAGRIN.
Qu’il faut l’adoucir.

I. Puisque l’homme est un composé de l’âme et du corps, d’où vient donc, Brutus, qu’il n’a pas donné une égale attention à ces deux parties de son être ? Pour le corps, il a cherché avec soin l’art d’en guérir, ou d’en prévenir les maladies ; et cette invention lui a paru assez utile pour en faire honneur aux Dieux. Mais à l’égard de l’âme, on n’a pas eu le même empressement pour découvrir l’art de remédier à ses maux ; et depuis qu’il a été découvert, on s’y est moins appliqué : il a eu moins d’approbateurs ; il a même beaucoup d’ennemis. Cette différence viendrait-elle de ce que l’âme, quelque abattu que soit le corps, est toujours en état de juger de ses maladies ; au lieu que le corps ne peut en aucun temps connaître celles de l’âme ? Ainsi, quand elle est malade, comme elle est alors privée de ses fonctions naturelles, il ne lui est pas possible de bien juger de son propre état. Véritablement, s’il avait plu à la nature de nous rendre tels, que nous eussions pu la contempler elle-même, et la prendre pour guide dans le cours de notre vie, nous n’aurions besoin, ni de savoir, ni d’étude pour nous conduire. Mais elle n’a donné à l’homme que de faibles rayons de lumière. Encore sont-ils bientôt éteints, soit par la corruption des mœurs, soit par l’erreur des préjugés, qui obscurcissent entièrement en lui cette lueur de la raison naturelle. Ne sentons-nous pas, en effet, au dedans de nous-mêmes des semences de vertu qui, si nous les laissions germer, nous conduiraient naturellement à une vie heureuse ? Mais à peine a-t-on vu le jour, qu’on est livré à toutes sortes d’égarements et de fausses idées. On dirait que nous avons sucé l’erreur avec le lait de nos nourrices : et quand nos parents commencent à prendre soin de notre éducation, et qu’ils nous donnent des maîtres, nous sommes bientôt tellement imbus d’opinions erronées, qu’il faut enfin que la vérité cède au mensonge, et la nature aux préventions.

II. Autre source de corruption, les poètes. Comme ils ont une grande apparence de doctrine et de sagesse, on prend plaisir à les écouter, à les lire, à les apprendre ; et leurs leçons se gravent profondément dans nos esprits. Quand à cela se vient joindre le vulgaire, ce grand maître en toute sorte de dérèglements, c’est alors qu’infectés d’idées vicieuses, nous nous écartons entièrement de la nature. Car vouloir nous persuader qu’il n’y a rien de meilleur, rien de plus désirable que les dignités, le commandement des armées, et cette gloire populaire, après quoi courent les plus honnêtes gens, n’est-ce pas nous envier ce que la nature met en nous d’excellent, et vouloir qu’à la place de ce véritable honneur, qui est ce qu’elle nous porte le plus à rechercher,


LIBER TERTIUS.
De ægritudine lenienda.

I. Quidam esse, Brute, causas putem, cur, cum constemus ex animo et corpore, corporis curandi tuendique causa quaesita sit ars, ejusque militas Deorum immorlalium invenlioni consecrata : animi autem medicina nec tam desiderata sit, anlequam inventa, nec tam culla, posteaquam cognita est, nec tam multis grata et probata, pluribus etiam suspecta et invisa ? An quod corporis gravilatetti et dolorem animo judicamus, animi morbum corpore non sentimus : J lia fit, ut animus de se ipse tum judicet, cum id ipsum, quo judicatur, œgrotet. Quod si taies nos natura genuisset, ut eam ipsam intueri, et perspicere, eademque oplinia duce cursum vitœ eonficere possumus : haud erat sane,quod quisquam rationem ac doctrinam requireret. Nunc parvulos nobis dedit igniculos, quos celeriter malis moribus, opinionibusque depravalis sic restinguimus, ut nusquam naturœ lumen appareat. Sunt enim ingeniis nostris semina innata virtutum : qua ; si adolescere liceret, ipsa nos ad beatam vitam natura perduceret. Nunc aulem, simul atque editi in lucem, et suscepti sumus, in ornni continue pravitate, et in summa opinionum perversitate versamur : ut paene cum lacté nutrieis enorem suxisse videamur. Cum vero parentibus redditi, demum magistris traditi sumus, tum ita variis imbuimur erroribus, ut vanitali veritas, opinioni confirmât » ? natura ipsa cedat. II. Accedunt etiam poeta ? : qui cum magnam speciem doctrinœ, sapientia ?que prœ se tulerunt, audiuntur, leguntur, ediscuntur, et inbaerescunt penilus in mentibus. Cum vero accedit eodem, quasi maximus quidam magister, populus, atque omnis undique ad vitia consentiens multitudo, tum plane inticimur opinionum pravitate, a naturaque ipsa desciscimus : ut nobis optimam naturam invidisse videantur, qui nihil melius homini, nihil magis expetendum, nihil prastantius honoribus, imperiis, populari gloria judicaverunt. Ad quam fertur optimus quisque, veramque illam honestatem expetens, quam unam