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CICÉRON

comme l’inflexion des atomes, dont j’ai déjà dit qu’il fut l’inventeur ? Pour le reste, il ne fit que conserver le système de Démocrite, les atomes, le vide, les images, les espaces infinis, un nombre innombrable de mondes, qui tantôt se forment, tantôt se détruisent ; eu un mot, presque toute la physique. Revenons à ces paroles, comme un corps, comme du sang. Qu’entendez-vous par là ? Car vous pouvez là-dessus avoir des lumières que je n’ai pas, et que même je ne vous envie point. Mais enfin je voudrais bien savoir comment une chose, qui serait claire pour Velléius, serait impénétrable pour Cotta ? Je sais ce que c’est qu’un corps, je sais ce que c’est que du sang : mais je ne sais point du tout ce que signifie comme un corps, comme du sang. Vous ne faites pas le mystérieux avec moi, comme Pythagore avec ceux qui n’étaient pas de ses disciples : vous n’affectez pas, comme Héraclite, de parler obscurément : il faut, ce qui soit dit entre nous, que vous ignoriez vous-même le sens de ces paroles.

XXVII. Ce que j’y vois, c’est que vous prétendez que les Dieux ont une certaine, forme, qui n’a rien de composé, ni de solide ; qui n’a point de relief, ni de saillie ; mais qui est simple, plate, diaphane. Ainsi nous en dirons comme de la Venus de Cô, que ce n’est pas un corps, mais quelque chose qui paraît un corps : que ce rouge qui éclate mêlé, de blanc, n’est pas du sang, mais quelque chose qui paraît du sang. Et de là nous conclurons qu’il n’y a dans le Dieu d’Épicure que des apparences, point de réalité. Supposez que, sans pouvoir vous comprendre, je ne laisse pas de vous croire. Dites-moi après cela de quelle figure sont ces Dieux crayonnés ; quel air ont-ils ? Vous les voulez de figure humaine, pourquoi ? En premier lieu, parce que naturellement, quand nous pensons a un Dieu, c’est sous une forme humaine qu’il se présente à nous. En second lieu, parce qu’un Dieu étant un être parfait, il doit avoir la forme humaine, comme la plus belle de toutes. En troisième lieu, parce qu’il n’y a point d’autre forme que celle-là qui puisse être le siége de l’entendement. Voilà bien des preuves, mais voyons si elles sont bonnes : car il me paraît que vous faites valoir ici le droit, qui vous est comme acquis, de raisonner sur des principes éloignés de toute probabilité. Fut-il jamais homme assez peu éclairé pour ne voir pas que ce qui a fait donner aux Dieux une forme humaine, ou ç’a été l’adresse des politiques, qui ont cru que ce serait un moyen d’inspirer plus aisément la piété a des hommes grossiers, et de les retirer par là de leurs dérèglements : ou ç’a été la superstition, afin qu’il y eût des simulacres, et que ceux qui en approcheraient pour les vénérer crussent approcher des Dieux en personne ? D’ailleurs, les poètes, les peintres, les sculpteurs y ont aidé beaucoup ; car difficilement pouvait-on représenter les Dieux sous quelque autre forme, qui leur conservât un air d’action et de mouvement. Peut-être aussi que la source de cette illusion, c’est l’idée que les hommes ont de leur beauté. Mais vous, qui faites le physicien, vous ne voyez pas combien la nature est attentive et habile à se rendre aimable ! Quelque animal que ce soit, ou sur la terre, ou dans les eaux, ne préfère-t-il pas à tout autre un animal de son espèce ? Par quelle autre raison ne verrait-on pas de l’empressement au taureau pour la jument,