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DE LA NATURE DES DIEUX, LIV. I.

et c’est ce que j’éprouve surtout en matière de physique.

XXII. Si vous me demandez ce que c’est que Dieu, je ferai avec vous comme Simonide avec le tyran Hiéron, qui lui proposait la même question. D’abord il demanda un jour pour y penser : le lendemain, deux autres jours : et comme chaque fois il doublait le nombre des jours qu’il demandait, Hiéron voulut en savoir la cause. Parce que, dit-il, plus j’y fais réflexion, plus la chose me parait obscure. Ce qui me fait juger que Simonide, qui n’était pas seulement un poëte délicat, mais qui d’ailleurs ne manquait ni d’érudition, ni de bon sens, perdit à la fin toute espérance de trouver la vérité, après que son esprit se fut promené d’opinions en opinions, les unes plus subtiles que les autres, sans pouvoir démêler la véritable. Pour ce qui est de votre Épicure, car j’en veux à lui, non à vous, avance-t-il rien qui soit digne, ne disons pas d’un philosophe, mais d’un homme un peu sensé ? Le premier article qui se présente ici à décider, c’est s’il y a des Dieux, ou s’il n’y en a point ? Il est difficile, dit-il, de nier qu’il y en ait. Oui, en public : mais en particulier, discourant comme nous faisons ici, rien de si facile. Tout pontife que je suis, et quoique je croie qu’il faut observer inviolablement ce qui a rapport aux cérémonies et au culte divin, je voudrais, au lieu de probabilités, avoir de bonnes démonstrations sur l’existence des Dieux. Car j’ai peine à me défendre de certaines pensées qui de temps en temps me troublent, et me rendent presque incrédule à cet égard. Mais voyez où va ma complaisance ; je veux bien vous passer tout ce que vous avez de commun avec les autres philosophes. Ainsi je ne vous attaquerai point sur l’existence des Dieux, pour laquelle presque tous se déclarent, et moi particulièrement. Mais ce que j’attaque, c’est la preuve que vous en apportez.

XXIII. Vous la fondez sur le consentement général de tous les hommes, qui suffit, dites-vous, pour nous convaincre qu’il y a des Dieux. Or je ne trouve dans cette preuve, ni solidité, ni vérité. Car d’où savez-vous ce que pensent toutes les nations ? Je suis persuadé, moi, qu’il y a beaucoup de peuples assez brutaux pour n’avoir pas la moindre idée des Dieux. Et Diagore, qu’on a nommé l’Athée, n’a-t-il pas nié ouvertement l’existence des Dieux ? Théodore ne l’a-t-il pas niée ? Vous avez vous-même fait mention de Protagore, le plus grand sophiste de son temps, que les Athéniens chassèrent, non-seulement de leur ville, mais encore de leur territoire, et dont ils firent brûler publiquement les ouvrages, parce qu’il en avait commencé un de cette sorte : Je ne saurais dire s’il y a des Dieux, ni ce que c’est. Sa punition, je crois, empêcha que beaucoup d’autres ne fissent profession ouverte d’athéisme, quand ils virent que sur le simple doute on ne lui avait pas fait grâce. Parlerons-nous des sacriléges, des impies, des parjures ? Si jamais Tubulus, comme dit un de nos poètes, si Lupus ou Carbon, ou tel autre fils de Neptune, avaient été persuadés qu’il y eût des Dieux, auraient-ils porté le parjure et l’impiété à cet excès ? La preuve sur laquelle vous comptiez n’est donc pas si bonne qu’il vous semble. Mais puisqu’elle vous est commune avec les autres philosophes, je veux bien à présent n’y point toucher, et m’arrêter